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Quelles furent les premières statues détruites en Martinique ?

Par Jean-Baptiste Labat*
Quelles furent les premières statues détruites en Martinique ?

Au début de la colonisation de la Martinique, des statues d’un autre genre furent détruites. Le Révérend Père Labat nous explique ici lesquelles et pourquoi.

En 1698, j'ai été témoin oculaire du fait que je vais rapporter. J'étois pour lors Syndic de notre habitation du fond St. Jacques à la Martinique (...).

Je fus averti une nuit qu'il y avoit dans sa case un Negre qui se mêloit de Medecine. J'y fus aussi-tôt dans le dessein de le faire châtier, et de le chasser. Mais étant proche de la porte, je m'arrêtai pour voir, au travers des fentes et des palmistes dont la case était palissadée, ce qu'on y faisoit. Je vis la malade étenduë à terre sur une natte. Un petit marmouset de terre, à peu près semblable à celui que j'avois brisé au Macouba, étoit sur un petit siege au milieu de la case, et le Negre prétendu Medecin étoit à genoux devant le marmouset, et sembloit prier avec beaucoup d'attention. Un peu après, il prit un couÿ, c'est à dire une moitié de calebasse où il y avoit du feu, il mit de la gomme dessus, et encensa l'idole. Enfin après plusieurs encensemens et prosternations, il s'en approcha et lui demanda si la Negresse gueriroit ou non. J'entendis la demande, mais je n'entendis pas la réponse. La Negresse qui étoit la partie la plus interessée, et quelques Negres qui étoient plus voisins que moi, l'entendirent et se mirent aussi-tôt à pleurer et à crier.

J'enfonçai la porte dans ce moment, et j'entrai, et comme j'avois avec moi le Raffineur de la maison, le Commandeur Negre, et cinq ou six autres qui avoient vû et entendu comme moi ce que je viens de dire, je fis saisir le sorcier, et quelques-uns des spectateurs qui n'étoient pas de notre habitation. Je pris le marmouset, l'encensoir, le sac et tout l'attirail, et je demandai à la Negresse pourquoi elle pleuroit : elle me répondit que le diable avoit dit qu'elle mourroit dans quatre jours, et qu'elle avoit entendu la voix qui étoit sortie de la petite figure. Les autres Negres affirmoient la même chose. Je leur dis pour les désabuser que c'étoit le nègre qui avoit parlé en contrefaisant sa voix et que, si le diable eût été là présent pour lui répondre, il l'auroit aussi averti que j'étois à la porte pour le prendre.

Cependant je fis attacher le sorcier, et je lui fis distribuer environ trois cens coups de foüet qui l'écorcherent depuis les épaules jusques aux genoux. Il crioit comme un desespéré et nos Negres me demandoient grace pour lui, mais je leur disois que les sorciers ne sentoient point le mal, et que ses cris étoient pour se mocquer de moi. Je fis apporter un siege, j'y mis le marmouset devant lui, et lui dis de prier le diable de le délivrer de mes mains, ou d'emporter la figure ; et comme il ne faisoit ni l'un ni l'autre, je le faisois toûjours foüetter à bon compte. Nos Negres qui s'étoient tous assemblez trembloient, et me disoient que le diable me feroit mourir, et ils étoient tellement prévenus de cette folle imagination, que je ne pouvois les en faire revenir, quelque chose que je pûsse leur dire.

À la fin pour leur faire voir que je ne craignois ni le diable ni les sorciers, je crachai sur la figure et la rompis à coups de pied, quoique j'eusse fort envie de la garder, je brisai l'encensoir et tout le reste de l'équipage ; et ayant fait apporter du feu, je fis brûler toutes les guenilles du sorcier ; je fis piler les morceaux de la statüe, et fis jetter les cendres et la poussiere dans la riviere. Il me parut que cela rassura un peu nos Negres. Je fis mettre le sorcier aux fers après l'avoir fait laver avec une pimentade, c'est-à-dire de la saumure dans laquelle on a écrasé du piment et des petits citrons. Cela cause une douleur horrible à ceux que le foüet a écorché, mais c'est un remede assuré contre la gangrenne qui ne manqueroit pas de venir aux playes. Je fis aussi étriller tous ceux qui s'étoient trouvez dans l'assemblée pour leur apprendre à n'être pas si curieux une autre fois ; et quand il fut jour, je fis conduire le Negre sorcier à son maître à qui j'écrivis ce qui s'étoit passé, le priant en même tems de lui défendre de venir dans notre habitation : il me le promit, me remercia de la peine que je m'étois donnée, et fit encore foüetter son sorcier de la belle maniere.

Ce qu'il y eut de fâcheux dans cette avanture, fut que la Negresse mourut effectivement le quatrième jour (...). À tout hazard j'avois eu soin de la faire confesser, et j'eus la consolation de la voir mourir en bonne Chrétienne, et fort repentante de la faute qu'elle avoit commise.

 

* Extrait de Nouveau voyage aux isles Françoises de l’Amérique, de Jean-Baptiste Labat, Paris, 1722.

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