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Raphaël Confiant : "Pendant la guerre d'Algérie, tous les Antillais ne furent pas des Fanon"

Raphaël Confiant : "Pendant la guerre d'Algérie, tous les Antillais ne furent pas des Fanon"

   Poursuivant son inlassable exploration de notre histoire par le biais du roman, l'écrivain Martiniquais Raphaël Confiant vient de publier "Du Morne-des-Esses au Djebel" chez Caraibéditions.

   Ce roman traite de la place et du rôle des soldats antillais pendant la guerre d'Algérie (1954-62). Nous l'avons rencontré..

***

LA TRIBUNE DES ANTILLES : La guerre d'Algérie est bien oubliée aujourd'hui en Martinique même si quelques milliers de soldats antillais, notamment martiniquais, y ont participé ?

Raphaël CONFIANT : En effet...Quand j'étais gamin à la fin de années 60, dans ma commune du Lorrain, un personnage nous intriguait. Un homme qui n'avait plus de bras ou dont les bras semblaient avoir été coupés. Il marchait tranquillement à travers le bourg, ne parlant à personne, très correctement vêtu et portant un belle casquette en kaki. Des adultes nous apprirent qu'il avait fait la guerre d'Algérie et avait sauté sur une mine. Dans la commune, il y avait d'autres ex-soldats eux aussi éclopés mais beaucoup moins que celui-là. Pour nous, gamins, le mot "Algérie" ne voulait rien dire évidemment. Plus tard, j'ai fini par les oublier comme la plupart des Martiniquais d'ailleurs...

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Comment expliquez-vous cette occultation ?

Raphaël CONFIANT : Elle concerne également la guerre d'Indochine qui l'avait précédée et au cours de laquelle beaucoup des nôtres ont perdu la vie. En fait, il faut distinguer deux catégories de soldats : les appelés puisqu'à l'époque le service militaire était obligatoire et les engagés, les soldats de métier donc. Chez les Antillais, les premiers étaient beaucoup plus nombreux que les seconds mais leur séjour en Algérie était moins long que celui de ces derniers. Sinon seuls les étudiants en médecine étaient dispensés de l'enrôlement...

LA TRIBUNE DES ANTILLES : A la lecture de votre livre, on sent que vous connaissez l'Algérie...

Raphaël CONFIANT : Ces éclopés de la guerre d'Algérie m'étaient complètement sortis de la tête entre mon enfance au Lorrain et mon adolescence à Fort-de-France où j'ai étudié au lycée Schoelcher. Cela m'est brutalement revenu après l'obtention du baccalauréat et mon départ pour la France afin de poursuivre mes études à l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence...Arrivé là, j'ai eu un choc ! Alors que je m'étais mentalement préparé à affronter le racisme anti-Noir, tout le monde me prenait pour un...Maghrébin et en ces années 1970-80, le racisme anti-arabe était virulent dans le sud de la France où avaient afflué des dizaines de milliers de Pieds-Noirs ou Békés algériens suite à l'indépendance du pays en 1962, cela après six ans d'une guerre féroce. Une guerre qui avait fait entre 300 et 500.000 morts du côté algérien et environ 30.000 du côté pied-noir et français...A Aix, dès le printemps venu et il arrive tôt dans ce sud de la France où, sauf en montagne, la neige est assez rare, la plupart des étudiants antillais clairs de peau s'empressaient d'arborer des tee-shirts marqués "MARTINIQUE" ou "GUADELOUPE" afin de ne pas être confondus avec des Maghrébins. J'ai, pour ma part, toujours refusé de me livrer à ce que je considérais comme une macaquerie ! Je me suis au contraire intéressé à la langue et à la culture arabes si bien que mes études terminées, je suis parti en Algérie.

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Dans quel but ?

Raphaël CONFIANT : A la recherche du rêve révolutionnaire fanonien ! Je n'ai pas été le seul jeune Antillais à y aller. Nous étions jeunes, nous avions vingt ans..., cela une bonne douzaine d'années après l'indépendance de ce pays. C'était l'époque d'"Alger, Mecque de la Révolution" comme aimait à dire Amilcar Cabral, le leader de la lutte de la Guinée-Bissau pour l'indépendance. Ce dernier proclamait, en effet : "Quand on est musulman, on va à la Mecque. Quand on est révolutionnaire, on va à Alger"...J'y ai été accueilli par l'écrivain Daniel Boukman qui avait rejoint le camp des Algériens pendant la guerre de libération. Il m'a très vite trouvé un logement et un travail d'enseignant d'anglais pour les cadres d'une société d'état faisant de l'import-export. J'ai oublié de préciser que j'avais fait des études d'anglais en parallèle de Sciences Po. J'ai adoré l'Algérie !... Mes parents, par contre, étaient évidemment furieux. Mon prof de maths de père lançait fièrement à ses amis : "Mon fils est parti faire préfet !". Ha-ha-ha !... C'est qu'après mon diplôme de Sciences Po, j'avais obtenu une bourse de préparation au concours d'entrée à l'ENA, mais j'ai arrêté les cours au bout de six mois et mon père a été contraint de la rembourser !

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Ce séjour algérien vous a donc permis d'écrire "Du Morne-des-Esses au Djebel" ?

Raphaël Confiant : De mieux écrire ce livre, pas de l'écrire ! On n'a pas forcément besoin d'aller dans un pays pour y camper une histoire. J'ai écrit des romans sur nos Indiens martiniquais ("La Panse du chacal"), sur nos Chinois ("Case à Chine") et nos Syro-libanais ("Rue des Syriens"), mais je ne suis pourtant jamais allé dans les pays de leurs ancêtres. Mais bon, le fait d'être allé en Corée du Sud, au Japon, au Maroc et en Algérie m'a beaucoup aidé...Toutefois avec l'Algérie, ce n'est pas exactement pareil. Toute une génération antillaise a entretenu une relation particulière avec ce pays. Il y avait le mythe fanonien, la grande image de Fanon, qui nous y avait attirés. Il y avait aussi ce intraitable président qu'était Houari Boumedienne et aussi le mythe de l'Algérie leader du Tiers-Monde comme on disait à l'époque. Il avait ainsi interdit la traversée de l'espace aérien algérien aux avions de la South-African Airways qui, du coup, étaient contraints de faire un long détour par l'Atlantique pour rallier Johannesburg. Il avait accueilli des Black Panthers qui avaient détourné un avion américain sur Alger mais aussi l'OLP de Yasser Arafat, le FROLINAT du Tchadien Aba Siddik, l'Irish Republican Army, le FRELIMO du Mozambique, le PAIGC de Guinée-Bissau, l'ANC de Nelson Mandela évidemment. Mais aussi un mystérieux Front de Libération des Antilles dont je ne souhaite pas parler pour l'instant...

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Pourquoi cela ?

Raphaël CONFIANT : ...........................

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Dans votre roman, vous campez des personnages de soldats assez contrastés...

Raphaël CONFIANT : En fait, la grande et belle image de Fanon, son impressionnante stature, a comme occulté les Antillais qui ont participé à cette sale guerre. On a presque fini par croire que nos soldats ont été tous des Fanon. Ce qui est évidemment totalement faux ! Ce fut même l'inverse. Fanon et quelques autres parmi lesquels les Martiniquais Guy Cabort-Masson et Daniel Boukman ou encore les Guadeloupéens Sony Rupaire et Roland Thésauros ont été des exceptions. La grande majorité de nos soldats ont agi en Algérie comme leurs chefs leur ont demandé d'agir. Comme l'ont fait leurs camarades normands, bretons, alsaciens ou marseillais ! C'est-à-dire qu'ils ont parfois commis des exactions dans un conflit où l'on interrogeait les prisonniers avec des décharges électriques dans les testicules, à l'aide de la fameuse gégène. Où l'on balançait dans le vide des suspects qui refusaient de parler depuis des hélicoptères. Où l'on violait des femmes musulmanes et rasaient des villages entiers au napalm.

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Avez-vous rencontré d'anciens soldats martiniquais de la guerre d'Algérie pour pouvoir écrire votre livre ?

Raphaël CONFIANT : Non car je ne suis pas historien ! Quand j'en vois certains défiler le 14 juillet ou le 11 novembre, le veston bardé de médailles, et déposer tranquillement des gerbes devant les monuments au morts, ça me met très mal à l'aise. Mais attention, je ne les condamne pas ! Comme pour toutes les guerres auxquelles les nôtres ont participé, la plupart des appelés et surtout des soldats de métier étaient des gens d'extraction populaire. Ils n'avaient pas le choix ! Déserter revenait à finir devant le tribunal militaire de Bordeaux quand on vous rattrapait. Après l'effondrement de l'industrie sucrière dans nos pays, des milliers de jeunes se sont brutalement retrouvés sans emploi et ont dû migrer sur Fort-de-France où, là non plus, il n'y avait guère d'embauche. Alors beaucoup n'eurent d'autre alternative que de s'engager dans l'armée. Comme Pierre Davidas, devenu par la suite militant écologiste, et que je suis fier d'avoir côtoyé à l'Assaupamar et au sein du journal Antilla. C'était quelqu'un d'extraordinaire ! Passionné, autodidacte, sincère, qui, né au fin fond d'une campagne de Rivière-Pilote sans eau courante ni électricité, cela dans les années 30, n'avait fait que l'école primaire et avait quand même réussi à atteindre le grade d'adjudant-chef. A son contact, j'ai compris ce que cela signifiait d'être un Antillais du peuple engagé dans l'armée française. Dans ce même comité de rédaction d'Antilla, il y avait aussi Guy Cabort-Masson, militaire de carrière passé du côté algérien, du FLN (Front National de Libération), au contact duquel, des années durant, j'ai beaucoup appris sur le conflit algérien. De même qu'aux côtés du directeur de la rédaction, Henri Pied, ancien de l'OJAM, qui avait séjourné comme médecin en Algérie peu après l'indépendance...

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Dans votre livre, il y a trois portraits de soldats et de déserteurs qui semblent inspirés de personnes réelles, Est-ce bien le cas ?

Raphaël CONFIANT : Oui, c'est bien le cas !...Deux ont fait l'Ecole militaire de Saint-Cyr et étaient des officiers. Le troisième fut étudiant à la Sorbonne et déserta pour rejoindre le FLN dans un camp au Maroc, à Oujda, ville frontalière de l'Algérie... 

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Des noms ! Des noms, s'il vous plait !

Raphaël CONFIANT : Dans vingt ou trente ans, les générations qui liront mon livre__si on lit encore des livres !__ne s'intéresseront pas de savoir qui se cache derrière mes personnages. Je ne donnerai donc aucun nom...

LA TRIIBUNE DES ANTILLES : Etrange titre quand même que "Du Morne-des-Esses au Djebel" ?

Raphaël CONFIANT : Pas du tout ! "Djebel" en arabe signifie "montagne" et "morne" en créole comme en français régional antillais signifie "petite montagne". Et le Morne-des-Esses, lieu de naissance d'un des mes personnages, n'est-il pas emblématique d'une certaine Martinique profonde ? Quant au djebel, c'est à partir de là qu'opérait principalement l'ALN, l'Arme de Libération Algérienne...Imaginez donc le choc culturel que ça a dû être pour un fils de petit paysan ou de coupeur de canne martiniquais de se retrouver devant des fellah, des paysans algériens ! Et ça, pour leur faire la guerre ! C'est ce choc que j'ai cherché à traduire dans mon livre...

LA TRIBUNE DES ANTILLES : Que pensez-vous de l'Algérie d'aujourd'hui ? Y êtes-vous retourné depuis ces années 70 ?

Raphaël CONFIANT : Malheureusement non ! Cela fait donc presque quarante ans que je rêve d'Alger, de sa baie, de la Casbah, de la Kabylie...La première fois où j'ai vu la neige, après tout de même six ans d'Aix-en-Provence, ce fut dans la ville de Tizi-Ouzou !...Au moment où je quittais l'Algérie pour rentrer en Martinique, j'ai vu commencer à émerger les deux maux qui allaient, plusieurs décennies plus tard ravager le pays et conduire à une guerre civile qui, comme l'on sait, a fait, dans la décennie 90, 100.000 morts : la corruption d'une fraction des élites et le fanatisme religieux. Des corrompus ont détourné et gaspillé l'argent du pétrole et du gaz naturel alors qu'il aurait pu permettre de bâtir un pays prospère où la jeunesse ne rêve pas d'émigrer en France ou au Québec. C'est pourquoi je trouve que les nationalistes et autres indépendantistes martiniquais ne luttent pas assez contre la corruption. C'est dès avant l'indépendance qu'il faut s'y atteler et cela, de manière intraitable ! Comme certains d'entre nous l'ont fait lors de la triste affaire du CEREGMIA qui a secoué notre université. Quant au fanatisme, il faut le juguler très vite aussi : en Algérie il a été religieux, en Martinique, il peut être racial. Etre indépendantiste ne signifie pas être anti-Blanc ! C'est pourquoi je combats le noirisme qui n'est qu'une déviation malsaine et dangereuse de la Négritude comme on a pu le constater avec le régime de François Duvalier en Haïti. Ceux qui diffusent cette idéologie au sein d'une jeunesse fragile déshonorent notre cause. Sinon pour en revenir à l'Algérie, j'ai bien sûr suivi avec attention et enthousiasme ces derniers temps le "hirak", ce mouvement de révolte pacifique de toute une jeunesse qui, je l'espère, pourra conduire à des changements bénéfiques pour le pays. 

LA TRIBUNE DES ANTILLES : De nouveaux projets d'écriture en cours ?

Raphaël CONFIANT : Je m'intéresse depuis assez longtemps à ces quelques 9.000 travailleurs congolais sous contrat arrivés en Martinique après l'abolition de l'esclavage en même temps que les Indiens et les Chinois. Leurs descendants actuels sont d'ailleurs les seuls Martiniquais à porter des patronymes africains. Il est peut-être temps d'évoquer littérairement ceux qu'on a appelé à leur arrivée les Neg-Kongo...

Commentaires

Michel P. | 01/10/2020 - 11:09 :
1) Dans ma jeunesse, en 1970-71, j'ai séjourné deux ans en Algérie. Ce que j'ai compris, c'est que les révolutionnaires qui ont pris le pouvoir venaient de l'étranger. Et ils se divisaient en clans, selon le pays d'accueil: Egypte, URSS, etc. Les ministères constituaient des féodalités en concurrence, avec leurs nomenklaturas qui s'enrichissaient. 2) Des choix idéologiques hasardeux étaient faits. Un modèle économique d'inspiration soviétique, qui a échoué. L'arabisation qui constituait une acculturation, car les Algériens parlaient peu l'arabe mais le berbère ou des dialectes. Je connaissais des chefs de service d'un ministère qui s'exprimaient surtout en français et qui transpiraient sang et eau pour communiquer avec d'autres ministères qui imposaient l'arabe classique, qu'ils ignoraient. 3) Pendant cette période, je me suis promené seul, à pied ou en voiture, un peu partout, sans jamais susciter la moindre réaction hostile, alors que la fin de la guerre n'était guère éloignée. 4) Pour le jeune homme que j'étais, la grosse particularité du pays était l'impossibilité d'y rencontrer des filles. L'apartheid des sexes était redoutable. 5) Un ami algérien qui avait épousé une périgourdine a dû s'expatrier quelques années plus tard, tant son mariage posait problème. 6) Ma fille a fait ses études à Bordeaux où elle aussi était prise pour une Arabe, non seulement par les Français mais par les Arabes eux-mêmes. Comme elle habitait près du consulat algérien, il arrivait que des Algériens en sortent avec des formulaires écrits en arabe qu'ils étaient incapables de lire et ils demandaient son aide. Ma fille disait qu'elle n'était pas arabe, ce qui lui valait des réactions désagréables au motif qu'elle reniait sa race...

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