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RAS POUL-BWA À LA GRANDE POSTE DE FOYAL

RAS POUL-BWA À LA GRANDE POSTE DE FOYAL

Il est neuf heures du matin et je m’aligne dans une queue, à la grande poste de Fort-de-France, déjà épuisée à l’idée d’avoir à attendre vingt ou trente minutes simplement pour retirer un paquet. Curieusement, nous ne sommes que des femmes dans la file. Des vieilles, des jeunes, des pas jolies, des mannequins aux «cheveux-l’état», des quelconques aussi. Je suis la dernière des huit personnes plantées devant une caissière à l’air peu amène et qui me semble prendre un temps fou pour servir chaque client.

Soudain, un individu hirsute, en locks et treillis déchiré, surgit de nulle part en braillant :

«{Man téléfònen Sarkozy l’Élizé bomaten-an, i di mwen man pé pasé douvan tout fanm !}» (J’ai téléphoné à Sarkozy ce matin à l’Élysée et il m’a dit que je pouvais passer devant toutes les femmes !)

Les clients des quatre queues se regardent interloqués, se demandant dans laquelle le bougre va s’aligner. Évidemment, il choisit la mienne ! Il est juste derrière moi et je sens son odeur fétide mêlée à celle de «l’herbe». Je fais mine de ne pas avoir peur et me tient roide, comme si je ne l’entendais pas.

«{Man téléfònen Mary lajol Dikos bomaten-an, i di mwen man pé pasé douvan tout fanm !}» (J’ai téléphoné à Marny [célèbre prisonnier martiniquais auteur de plusieurs meurtres dans les années 70-80] ce matin à la prison de Ducos, il m’a dit que je pouvais passer devant toutes les femmes !)

Là, je ne peux m’empêcher de trembler, d’autant qu’aucune des femmes qui me précède n’a l’air de vouloir céder sa place à l’énergumène lequel s’agite de plus en plus violemment dans mon dos. C’est alors qu’un vigile bedonnant finit par apparaître et lui lance, sur un ton plutôt débonnaire :

«{Jah pa téléfònen’w bomaten-an pou di’w pa vini fè dézod an lapos moun-lan ?}» (Jah ne t’a pas téléphoné ce matin pour te dire de ne pas venir faire du tapage dans cette poste ?)

Quelques rires, nerveux, fusent ici et là dans les queues. Un ange (à moins que ce ne soit un démon) passe. Et si de rage, il me plantait quelque chose dans le dos ? Pourtant, je n’ose me retourner et lui faire face. Je l’entends, subitement calmé, rétorquer au vigile :

«{Pwan lajan Babilòn-la ka ba’w la épi fouté mwen lapé !}» (Prends le fric que te donne Babylone et fous-moi la paix !)

Le vigile abandonne la partie et retourne d’où il était venu. Je me dis que son intervention a quand même contribué à apaiser l’atmosphère. En effet, l’énergumène, qui arbore un tee-shirt à l’effigie d’Hailé Sélassié sous son treillis, se met à se dandiner, à sautiller sur place, à chantonner une chanson reggae avant de déclarer à la cantonade :

«{Lè zot wè man ka palé, sé ki man bien, pas lè man pa ka palé, sé ki man ni mal tet é lè zot wè man ni mal tet, man ka vini méchan. Ha-ha-ha !}» (Quand je parle, c’est que je suis bien, parce que quand je parle pas, c’est que j’ai mal à la tête et quand j’ai mal à la tête, je deviens méchant. Ha-ha-ha !)

Devant moi, trois clientes sont enfin passées. Je n’ai pas la force de supporter cet individu dans mon dos d’autant qu’il vient d’allumer un «poteau» et qu’il lâche d’énormes quantités de fumée qui viennent me brouiller la vue malgré mes lunettes. L’odeur de «l’herbe» finit par se diffuser dans tout le hall de la poste et deux femmes, sans doute incommodées, quittent leurs queues et s’en vont. J’ai la tentation de les imiter, mais cela fait dix jours que je dois venir retirer mon paquet et il risque de repartir. Prise d’une soudaine impulsion, je me retourne vers l’homme et lui dit :

«Vous pouvez prendre ma place, je ne suis pas pressée.»

«{Aaah, mèsi ti madanm ! Ni dé serten moun ki janti anlè latè kanmenm. Man téléfònen Bènwa 16 bomaten an é i di mwen man té kay jwenn an bon moun. Sé Ras Poul-bwa ki non-mwen, madanm !}» (Aaah, merci ma petite dame ! Y’a quand même des gens gentils sur cette terre. J’ai téléphoné à Benoît XVI ce matin et il m’a dit que je rencontrerais une bonne personne. Mon nom est Ras Poux-de-Bois, madame !)

Je suis bien obligée d’accepter da main crasseuse et d’esquisser un (maigre) sourire. Il se met alors à ma place, attend tranquillement son tour, ne braillant plus du tout, mais continuant à fumer son «poteau» de cannabis, l’air goguenard. Quand arrive son tour, je le vois sortir de la poche de son treillis une pièce d’identité chiffonnée qu’il tend sans un mot à la caissière laquelle à mon grand étonnement ne lui demande strictement rien. Elle tapote sur son ordinateur, ouvre sa caisse, prend ce qui me semble être quatre cent ou cinq cent euros et les tends sans mot dire à l’individu qui s’en empare et file comme une mèche !!!

Quand arrive enfin mon tour, la caissière me lance :

«Ils n’aiment pas Babylone, mais ils aiment le RMI de Babylone…»

Commentaires

zizany | 18/10/2008 - 13:24 :
C'est très bien, mais un peu stigmatisant tout de même...Les rasta sals,puants et qui plus est super-assistés. Enlevez les locks, et la description correspond ...à nous même,à nos contradictions et à nos misères... Alors, pourquoi ainsi dénigrer (involontairement j'en suis sur) une religion caribéenne, porteuse d'un message émancipateur, né de notre histoire, de conditions historiques et sociales précises...bref.... Et de plus correspondant à la foi de PERSONNES. L'autodénigrement emprunte parfois des voies subtiles. An nou fè Atansyon. plita

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