
Cela faisait près d’une vingtaine d’années que les créolistes de la Caraïbe ne s’étaient pas retrouvés à la Martinique. A la fin des années 80, le GEREC et son directeur, le professeur Jean Bernabé, lançaient {Linivèsité livènaj kréyol} (Université d’été créole), manifestation qui donna le coup d’envoi à une véritable réflexion sur l’enseignement de la langue et de la culture créoles. Elle fut suivie par la création du premier diplôme international de l’UAG (Université des Antilles et de la Guyane), le DULCC (Diplôme Universitaire de Langues et Cultures Créoles) qui, six ans durant, rassembla non seulement des Martiniquais, des Guadeloupéens et des Guyanais, mais aussi des Saint-Luciens, des Dominiquais et des Haïtiens.
Depuis lors, les liens s’étaient un peu distendus, chacun travaillant dans son coin et tout ce monde ne se retrouvant qu’à l’occasions de colloque hors de la Caraïbe. Or, entre temps, de l’eau avait coulé sous les ponts et des avancées extraordinaires, inimaginables dans les années 80 en tout cas, s’étaient produites :
. création d’une licence et d’une maîtrise (devenue master depuis) de créole (dit LCR ou Langues et Cultures Régionales selon la dénomination officielle) à l’UAG.
. création d’une option de créole au Baccalauréat.
. création, sous la pression du GEREC, d’un CAPES de créole.
. création du Professorat des écoles-option Créole etc…
Désormais, le créole est enseigné un peu partout en Guadeloupe, assez largement en Guyane et en Martinique. L’heure était donc venue pour tous les acteurs de la chose créole depuis trois décennies dans nos différents pays de se réunir. Etaient présents pour la Guadeloupe : Hector Poullet, Robert Fontès, Roger Valy-Plaisant, Serge Colot et Diana Ramassamy ; pour la Martinique : Raphaël Confiant, Jean Bernabé, Robert Damoiseau, Michel Dispagne et Gerry L’Etang ; pour Sainte-Lucie : Marcian Jn-Pierre, Lindy-Ann Alexander et Hilary Laforce ; pour Haïti : Pierre Vernet ; pour la Guyane : Monique Blérald ; pour la France : Marie-Christine Hazaël-Massieux. . Il est à noter que certains invités originaires d’Haïti et de la Dominique ne purent participer à ces journées faute d’avoir obtenu un visa français à temps. Eternel problème de la libre circulation des personnes à travers la Caraïbe !
Le thème choisi pour ce faire fut, ces 3 et 4 juin 2008, sur le campus de Schoelcher : « La graphie du créole ». En effet, si la graphie inventée par Jean Bernabé au début des années 70 du siècle dernier s’est largement imposée depuis, la plupart des textes rédigés en créole, l’utilisant ou s’en inspirant, force est de reconnaître que la lecture du créole pose toujours problème au plus grand nombre. C’est d’ailleurs ce qui a poussé J. Bernabé en 2002, dans son ouvrage « La Graphie créole » (Ibis Rouge), a proposer des amendements à son système, le tout premier étant désormais connu sous le nom de Standard-GEREC 1 et le second Standard-GEREC 2. Les journées de juin 2008 visaient donc à savoir, à travers une série d’enquêtes de terrain menées en Martinique, Guadeloupe et Guyane par S. Colot et D. Ramassamy, comment le créole était lu, cela dans 3 graphies différentes (étymologique, Standard-GEREC 2 et graphie rénovée) et par différents types de lecteurs (non averti, connaisseur etc.). Si tous les résultats de celles-ci n’ont pas encore été dépouillées, il apparaît assez nettement qu’il n’est guère possible de se contenter du Standard-GEREC 2 et que de nouvelles améliorations devront lui être apportées, tant au niveau de l’allègement que de la redondance. Il en va de l’avenir du créole écrit : veut-on qu’il demeure l’apanage d’une petite élite ou veut-on qu’il se diffuse sur une large échelle ?
Les positions sont très tranchées sur cette question qui se révèle, par ailleurs, fort sensible, certains tels Daniel Boukman étant très attachés au Standard-GEREC-2 tandis que d’autres tels Raphaël Confiant (qui propose de redoubler, par exemple, le « t » et « le « s » en fin de mot : « rat » devenant alors « ratt ») étant plus ouverts à une certaine évolution du système. Dans tous les cas de figure, il ne s’agit que de réflexions sur la graphie, aucunement de décisions unilatérales. Et surtout il ne s’agit pas non plus d’un retour sournois à l’étymologisme, R. Confiant faisant remarquer, par exemple, qu’il n’existe aucun mot français se terminant par deux « t » ou deux « ss », hormis de rares emprunts à des langues étrangères non-latines. Le professeur Marie-Christine Hazaël-Massieux de l’Université de Provence a, elle aussi, mis l’accent sur un meilleur découpage de la chaîne écrite en créole et sur la nécessité d’un système de ponctuation plus lourd qu’en français.
La deuxième journée d’études a plutôt mis l’accent sur une réflexion-bilan des différentes expériences pédagogiques en créole dans des pays aussi différents qu’Haïti où, comme l’a rappelé le professeur Pierre Vernet, le créole est langue co-officielle à côté du français, et la Guadeloupe, pays où existe une forte demande d’apprentissage du créole par les « Métropolitains », comme l’a expliqué Hector Poullet. Ou encore Sainte-Lucie où existe un réel blocage quand à l’introduction du créole dans le système scolaire. Suivi par un public nombreux et attentif, ces deux journées d’études, qui ont permis de renouer les liens entre les créolistes de la Caraïbe, se sont achevées par un hommage au professeur Robert Damoiseau, éminent créoliste franco-martiniquais, qui part à la retraite fin juin. Ayant d’abord travaillé une dizaine d’années en Haïti, R. Damoiseau a publié de nombreux articles de syntaxe sur le créole haïtien, avant de se tourner vers le créole martiniquais, puis le créole guyanais pour lesquels il a publié, aux éditions Ibis Rouge, des grammaires comparées avec le français.
Rendez-vous a été pris très prochainement entre les différents créolistes pour continuer et approfondir le travail de réflexion.
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