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« RUE DES SYRIENS » DE RAPHAEL CONFIANT : UNE EPOPEE MECONNUE

Antilla
   « RUE DES SYRIENS » DE RAPHAEL CONFIANT : UNE EPOPEE MECONNUE

Dans son dernier roman, publié aux éditions Mercure de France, Raphaël Confiant aborde un thème qui n’a jamais été traité par la littérature martiniquaise : celui de l’émigration syro-libanaise à la Martinique. L’hebdomadaire martiniquais, ANTILLA, l’a rencontré…

ANTILLA : Après avoir rendu hommage aux Indiens dans La Panse du Chacal et aux Chinois dans Case à Chine, vous venez de publier Rue des Syriens consacré à la communauté syro-libanaise, avez-vous fait le tour des groupes ethniques qui composent la société martiniquaise ?
R. CONFIANT : Presque…Bon, il manque encore les Caraïbes. C’est paradoxal de terminer par le groupe autochtone, le premier à avoir foulé le sol de cette île qui est devenue nôtre. Cela s’appellera La Demeure des Sauvages…Je rappelle que les nègres créoles sont au centre du Nègre et l’Amiral, les mulâtres de Commandeur du Sucre, les Békés de Régisseur du rhum et les nègres marrons de l’ouvrage du même nom.

Antilla : vous avez donc oublié les chaben, non ?

R. CONFIANT : Ha-ha-ha !...Pas du tout ! Mes autobiographies d’enfance, Ravines du Devant-Jour et d’adolescence, Le Cahier de romances, évoquent largement le chaben que je suis…Mais pendant que nous sommes en train de parler là, il me vient soudain à l’idée que j’ai oublié les Nègres-Kongo. Après l’abolition de l’esclavage, comme on sait, les planteurs békés ont importé des Indiens et des Chinois mais aussi, ce que l’on sait moins, des Congolais. 9.000 Congolais ! Donc, du coup, je suis obligé de leur consacrer un bouquin, sinon je vais encore me faire allumer par les noiristes…

Antila : N’est-il pas curieux de proclamer à la toute première ligne de l’Eloge de la Créolité, « Ni Amérindiens, ni Européens, ni Africains, ni Indiens, nous nous proclamons Créoles » et, dans le même temps, de consacrer des livres à chacun de ces différents groupes auxquels vous déclarez ne pas appartenir ?

R. CONFIANT : Non, ça n’a rien de curieux. Avant que nous ne devenions Créoles, ces groupes se sont installés ou ont été transportés à la Martinique au fil des siècles et c’est de leur mélange forcé que sont nés les Créoles. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain ni dans la joie. La Créolité est issue d’une violence extrême, inouïe par moments : extermination des Caraïbes, esclavage des Noirs, engagisme des Indiens et des Chinois. Il y avait donc nécessité d’évoquer ce passé-là, de ne pas l’occulter. Bref, de donner à le lire sans fards. Je suis certes Créole, mais je n’en oublie pas pour autant que la majorité de mes ancêtres viennent d’Afrique et une autre partie, moins importante, d’Europe et de Chine. Et puis, la Créolité n’est pas seulement biologique, c’est même son aspect le moins intéressant. Son aspect le plus fascinant est le mélange des langues, des religiosités, des cultures. C’est, selon la belle expression de Jean Bernabé, « le partage des ancêtres ». Je n’ai aucun ancêtre indien ou syrien, mais je me sens héritier des apports culturels de ces derniers tout autant que de ceux de mes ancêtres africains, européens et chinois.

ANTILLA : Venons-en justement à votre dernier roman, Rue des Syriens,...

R. CONFIANT : Permettez-moi d’insister : quand on dit « partage des ancêtres », beaucoup de gens croient qu’il s’agit d’une jolie formule plus ou moins oeucménique, voire utopique. Or, c’est quelque chose tout ce qu’il y a de plus concret. Quand j’étais enfant, ma grand-mère paternelle chinoise possédait une boutique de demi-gros à la rue Antoine Siger, à Fort-de-France, et donc à quelques encablures de la rue François Arago, la fameuse rue où étaient installés la plupart des commerçants levantins. Enfant, j’ai été bercé par la langue et la musique étranges qui jaillissaient des gros postes de radios noirs grâce auxquels l’après-midi, de vieux Syriens, assis à califourchon sur des chaises à la devanture de leurs magasins, captaient des stations moyen-orientales sur ondes courtes. Plus tard, beaucoup plus tard, devenu étudiant en France, j’ai appris que ces voix qui m’enchantaient étaient celles de l’immense chanteuse égyptienne Oum Kalsoum ou de Farid El-Atrache. Cette langue était bien sûr l’arabe et avec ses sons rauques, ses coups de glotte, elle m’avait fasciné. Donc dans ma sensibilité, quand bien même je n’ai aucun ancêtre syro-libanais, il y a en moi un peu de la culture moyen-orientale. C’est cela la Créolité !

ANTILLA : Rue des Syriens retrace l’arrivée et l’installation des Syro-libanais à la Martinique à partir de la fin du XIXe siècle, ça s’est passé comment ?

R. CONFIANT : Comme pour tous les autres groupes ethniques qui se sont installés chez nous ! Ce fut dur, très dur, au début. Les Levantins n’ont pas quitté leur terre natale et enjambé deux océans__la Méditerranée et l’Atlantique__de gaieté de cœur, mais contraints et forcés. Comme, avant eux, bon nombre de Blancs et la majorité des Africains, des Indiens et des Chinois. Rue des Syriens évoque deux vagues d’immigration levantine à la Martinique, chacune symbolisée par un personnage : Bachar qui débarque à la fin du XIXe siècle et Wadi dans les années 30 du siècle suivant. Je retrace les raisons de leur départ, les difficultés du voyage en bateau, la dureté de l’installation en terre martiniquaise. Je rappelle que beaucoup ont fait les colporteurs, s’aidant parfois d’une simple brouette. Leurs pays étant occupés par les Turcs, puis par les Anglais et les Français, la seule solution pour la jeunesse de l’époque était de tenter le « rêve américain ». Les USA leur ayant fermé l’entrée de son territoire (déjà !), les Levantins se sont rabattus sur l’Amérique du Sud où ils sont appelés « Turcos » et les Antilles de Cuba à Trinidad.

ANTILLA : C’est une femme, une négresse, Fanotte, qui s’entiche de Wadi et lui permet de s’adapter à son nouveau pays…

R. CONFIANT : Oui, car comme tous les autres groupes qui les ont précédés, les Syro-libanais étaient majoritairement des hommes. Ils ont donc dû trouver femme sur place et, dans les premiers temps, on a eu pas mal de couples Syriens-nègre, Syrien-mulâtre, Syrien-chaben ou Syriens-Indiens, couples concubins le plus souvent, mais pas toujours. On a eu aussi des mariages en bonne et due forme.

ANTILLA : On prétend que les Syriens n’épousent que les gens de leur groupe, jamais des Martiniquaises des autres groupes…

R. CONFIANT : Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte et Rue des Syriens les évoque. Les premières vagues d’émigration étaient surtout composée de Libanais et donc de chrétiens maronites qui ne rencontraient pas d’obstacle majeur à épouser ou à concubiner avec des femmes catholiques. L’église maronite est une branche orientale du catholicisme et est reconnue par le Vatican. Puis, dans un deuxième temps, le nombre de musulmans est allé en grandissant. Des Jordaniens et des Palestiniens ont débarqué à leur tour et là, évidemment, l’obstacle religieux est à prendre en compte. Il est beaucoup plus facile à un maronite qu’à un musulman de concubiner ou d’épouser une femme catholique comme l’étaient la plupart des Martiniquaises de l’époque. Mais quand même, il y a eu des musulmans qui ont franchi le pas.

ANTILLA : Certes, mais il se dit aussi que les Syriens font surtout venir des épouses du Moyen-Orient…

R. CONFIANT : Oui, cela a commencé à se faire à partir du moment où ils sont passés de l’état de colporteurs misérables à celui de commerçants relativement aisés. Mais, il ne faut pas exagérer ce phénomène, il est loin d’être généralisé. Et puis, n’oublions pas qu’il y avait un réel ostracisme envers les Levantins et qu’une négresse ou une mulâtresse qui se mettait avec un Syrien était plutôt mal vue. Ce qui a fait que les Levantins ont eu tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes. Dans Rue des Syriens, Bachar épouse une Indienne et se trouve rejeté à la fois par les Syriens et par les Indiens ! Je n’ai pas inventé ça. J’ai connu ce couple dans mon enfance au Lorrain…

ANTILLA : Vous avez travaillé à partir d’archives ?

R. CONFIANT : D’archives bien sûr, mais aussi d’enquêtes auprès des Syriens, surtout les vieux. Comme je l’ai d’ailleurs fait pour les livres que j’ai consacrés aux autres composantes de la société martiniquaise. Donc, j’ai tenu à ce que tous les éléments factuels, historiques, soient vrais tandis que les personnages sont pour certains des représentations de personnes ayant réellement existé et pour le plus grand nombre de personnes totalement imaginaires.

ANTILLA : Dans une interview récente à France-Antilles Magazine, un intellectuel martyiniquais déclare que Confiant et Chamoiseau tiennent les médias français, ce qui explique que ceux-ci ne parlent que de vous et pas des autres écrivains antillais, c’est vrai ?

R. CONFIANT : Ha-ha-ha !...C’est tout simplement risible. Grotesque même. Vous pensez sérieusement qu’à 8.000kms de Paris, dans mon île minuscule, sous mon cocotier, j’aurais le pouvoir d’obliger un journaliste parisien à rédiger un article sur mes livres ou à m’inviter à un plateau-télé ? C’est du grand n’importe quoi !...Par contre, je me rappelle qu’en 1991, j’ai été finaliste du Prix Goncourt__un an donc avant Chamoiseau__et que les membres du jury ont été inondés d’articles signés par moi et publiés dans Antilla, articles censés prouver que j’étais non seulement anti-Blanc, mais surtout antisémite !!!

ANTILLA : Vous tenez cela de qui ?

R. CONFIANT : De François Nourrissier qui était président du jury du Goncourt à l’époque. Il a été marié vingt ans durant à une Martiniquaise dont il a eu deux enfants. Il m’a montré les photocopies des articles en question. Naturellement, lâches comme sont nombre de nos « gran-grek », ils ont envoyés ça anonymement, mais je sais fort bien qui a fait ça.

ANTILLA : Des noms ! Allez, des noms !

R. CONFIANT : Pff ! Cela servirait à quoi ? Je les laisse à leur médiocrité et à leur jalousie. Ils peuvent continuer à me mettre les bâtons dans les roues, ça ne m’a jamais empêché d’écrire et de publier. J’en suis presque à mon quarantième ouvrage. Donc « le Chaben vous emmerde ! » pour paraphraser une formule de Césaire. Ha-ha-ha !...

ANTILLA : Vingt ans plus tard, vous regrettez de n’avoir pas obtenu le Goncourt ?

R. CONFIANT : Alors là, pas du tout ! Chamoiseau est bien meilleur écrivain que moi, le meilleur de notre génération, celle qui est née dans les années 50 du siècle dernier, et qu’il l’ait obtenu n’est que justice.

ANTILLA : Votre secret c’est quoi ?

R. CONFIANT : Secret ? Je n’en ai pas !...Je bosse, c’est tout : 90% de transpiration + 10% d’inspiration. S’il y a un secret, c’est celui-là…Bon, j’ai quand même un avantage, un sacré avantage, sur mes confrères écrivains, je n’ai besoin que de trois ou quatre heures de sommeil par nuit. Insomniaque de père en fils depuis plusieurs générations. Ha-ha-ha !...

ANTILLA : Et vous allez continuer à écrire longtemps encore après quarante ouvrages ?

R. CONFIANT : Oui, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ha-ha-ha !...

(propos recueillis par Mike Irasque)

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