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Sénégal : les recettes du vagin

par Victor Castanet
Sénégal : les recettes du vagin

Les produits pour "resserrer le vagin" font fureur au Sénégal. Vantés par des youtubeuses, ils s'achètent en ligne et sur les marchés. Souvent inefficaces, parfois dangereux, ils inquiètent les médecins.

Un téléphone dans une main, son carnet de commandes dans l'autre, Maya ouvre la porte au livreur et lui remet un sac débordant de "plaisirs" : un gel clitoridien, un jeu de cartes version Kamasutra, un anneau vibrant de la marque Dorcel. Et, bien sûr, un gel resserre-vagin "Always Virgin", l'un de ses produits phares. La prière du vendredi vient de se terminer à Diamalaye, dans les quartiers nord de Dakar, et le business tourne à plein. Maya ne compte plus les commandes reçues depuis le matin : "Les gens partent en week-end. Le jeudi et le vendredi, c'est toujours de la folie !" Dans sa robe sénégalaise traditionnelle, avec sa voix calme et son allure de jeune fille modèle, cette ancienne juriste de 27 ans n'a pas grand-chose à voir avec l'image qu'on peut se faire du milieu X.

Et pourtant, cela fait un an et demi qu'elle fournit Dakar en produits intimes. Dans ses piles de cartons, à côté des substances aphrodisiaques et de la lingerie fine, on retrouve une catégorie qui fait fureur ici : les produits pour resserrer le vagin. Il en existe de toutes sortes au Sénégal : des naturels comme le beurre de karité appliqué en ovules, l'eau citronnée ou la poudre d'alun ; des made in China comme la barre de craie vaginale ou la crème "18 again". Maya conseille le plus souvent à ses clientes une infusion de nep nep, une plante locale à compléter avec des cristaux de sel malien : "Ça donne un 'effet vierge', comme si tu n'avais jamais fait l'amour. Ça dure entre 24 et 72 heures. Tu seras tellement serrée que ton partenaire aura du mal à te pénétrer. Les clientes en raffolent."

Pour s'en convaincre, il suffit de regarder son compte Instagram, Les astuces de Maya, sur lequel elle partage les messages envoyés par ses clientes : "Salut ma chérie ! Ton resserre-vagin, c'est une tuerie ! Monsieur était au 15e ciel", lit-on ici. "C'est comme si j'étais redevenue vierge. Un truc de malade. J'en revenais même pas", remercie une autre.

Attention danger

Les produits pour "rétrécir" le vagin sont très répandus en Afrique centrale - en Gambie, au Mali, en Côte d'Ivoire, en Mauritanie ou au Burkina Faso. Les femmes commencent à en acheter après leur premier accouchement dans l'espoir de continuer à satisfaire leur mari. Au Sénégal, c'est une pratique ancienne. Il arrive même que les grands-mères transmettent à leurs petites-filles leurs recettes miracles. Mais avec les réseaux sociaux, le phénomène a pris de l'ampleur et inquiète le milieu médical. Dans des vidéos vues plusieurs centaines de milliers de fois, des youtubeuses donnent leurs conseils pour « redevenir vierge » sans avoir aucune compétence. Ces produits insérés dans le vagin sont souvent inefficaces, parfois dangereux. La gynécologue Rokhaya Thiam Ba, ancienne interne des hôpitaux de Paris, installée à Dakar depuis quinze ans, explique : "Ce sont des produits qui assèchent le vagin. Ça rend la pénétration plus difficile, donc ça donne l'impression que c'est resserré. Mais c'est dans la tête. Et si c'est plus agréable pour le mari, ça ne l'est pas du tout pour les femmes."

Son confrère, le Dr Ibrahim Aïdibé, confirme l'ampleur du problème. Chaque jour, une de ses consultations au moins est liée à l'utilisation de ces produits. "Même le beurre de karité peut être très mauvais, prévient-il. Si vous en mettez trop, ça déséquilibre totalement la flore vaginale, qui devient beaucoup plus sensible. Et ça entraîne des mycoses à répétition. Les cristaux de sel, eux, peuvent causer des brûlures importantes. Ils déshydratent la muqueuse et, avec un rapport derrière, c'est la cata." Malgré les risques, ces produits se vendent mieux que jamais sur les groupes Facebook et dans les boutiques discrètes du marché de Sandaga. Pour le Dr Aïdibé, le déficit d'éducation sexuelle au Sénégal explique ce succès : "Les messages publics autour de la sexualité sont très rares. Il y a des levées de boucliers dès qu'on essaie d'en parler. Un projet de cours d'éducation sexuelle à l'école a été retoqué il y a quelques mois après les protestations des responsables religieux."

"Un arsenal de séduction"

Pour le Dr Rokhaya Thiam Ba, c'est la pratique très répandue de la polygamie au Sénégal qui provoque les comportements les plus dangereux : "Une femme qui se retrouve en concurrence avec la seconde épouse va tout faire pour garder un vagin étroit pour plaire à son mari. Celle qui ne l'est pas encore va faire en sorte que son époux n'aille pas chercher une deuxième femme..." La journaliste et chroniqueuse sexualité Maria Diop refuse pourtant de voir dans l'utilisation de ces produits le signe d'une soumission de la femme. "Les Sénégalaises ont un concept qu'elles appellent 'jongué', qui explique qu'on doit faire plaisir à nos hommes. La plupart du temps, elles ne le font pas parce qu'elles sont soumises mais parce qu'elles adorent ça, assure-t-elle. Elles possèdent tout un arsenal de séduction : des perles de rein, de l'encens, des produits pour le vagin. Ça les amuse. Ça leur fait plaisir de faire plaisir à leur homme."

Mais l'expérience du Dr Rokhaya Thiam Ba montre que la pression masculine peut faire des ravages : "Certaines femmes qui n'en avaient absolument pas besoin se sont fait opérer afin de resserrer définitivement leur vagin, se désole-t-elle. Elles viennent me voir en pleurs parce qu'elles ont mal à chaque rapport." D'autres patientes, qui ont peur de se retrouver seules ou reléguées au second plan, continuent à faire l'amour à leur conjoint pendant des années malgré la douleur. Et souffrent en silence. Pour ne pas gâcher le plaisir de leur mari.

Post-scriptum: 
Texte et photos Victor CASTANET à Dakar

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