Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

SUPPRIMER LES 40% NE CHANGERAIT RIEN...

Par ALBERT LEMONTIER
SUPPRIMER LES 40% NE CHANGERAIT RIEN...

L'idée de supprimer les 40% n’est pas nouvelle, mais la plume de Raphaël Confiant la réintroduit efficacement dans le débat public.

L’argument du choc salutaire n’appelle pas d’observation, on est pour ou contre mais l’effet est à peu près assuré. Par ailleurs, je ne sais pas ce qui justifie de nos jours ces 40 %, sinon le maintien d’avantages acquis liés à un statut pas encore démantelé au plan national par la main invisible en train de faire fondre la rémunération du travail public ou privé en France.

Là où il y a matière à discussion, même pour un non-spécialiste des questions économiques, c’est sur l’idée que les 40 % auraient un effet inflationniste y compris de nos jours. Ceci n’est pas démontré, il est peut être même possible de démontrer l’absence d’effet inflationniste aujourd’hui dans un pays qui recoure autant qu’il le veut à l’importation de tout et n’importe quoi, déconnectant totalement le niveau de production et la monnaie en circulation.

A supposer cet effet inflationniste soit établi, justifierait-il pour autant qu’on diminue la rémunération d’une partie de la population pour lutter contre l’inflation ? Au fond pourquoi pas, mais cela revient à considérer que c’est le niveau des revenus (pourtant calculés sur des bases vieilles de plus d’un demi-siècle) qui crée l’inflation, et que celle-ci aurait atteint un niveau néfaste chez nous ? Dans ce cas, pourquoi s’arrêter à la suppression des 40 % ?

Si on appauvrit la partie de la population encore à peu près solvable, les prix ont une chance de baisser, certes, mais ce n’est pas du tout certain, et surtout pour quoi faire ?

En quoi ces 40 % feraient-il en effet obstacle à toute politique économique ? L’idée sous-jacente est qu’ils alourdiraient les coûts de revient sur place et compromettraient toute chance de compétitivité martiniquaise. Or, en vertu de quoi la Martinique serait-elle vouée à se positionner dans les segments ou les gammes où la compétitivité se fonde sur les prix ? En concurrence avec d’autres qui, par leurs économies d’échelle et la pauvreté de leurs peuples, seront de toute façon toujours plus compétitifs que la Martinique quand bien même nous diviserions par 4 ou 5 nos salaires ? Alors qu’en même temps il existe des marchés friands de biens de qualité à prix élevés sur des créneaux où nous pouvons exceller. Sur les marchés à forte valeur ajoutée bien entendu, pas dans la seule Caraïbe, mais dans le grand export, où les prix résultent de la confrontation de l’offre et de le demande et surtout pas de coûts de production.

Pour illustrer mon propos, ce que nous exportons avec le plus de succès c’est le rhum de qualité, précisément parce que sur le marché international du spiritueux de qualité le prix importe peu ; il est de toute façon élevé, et parce que nous avons de quoi tenir une promesse de qualité associée à une origine martiniquaise. En revanche, si nous nous battions sur les pâtes alimentaires en baissant les salaires dans l’industrie des pâtes alimentaires, nous n’aurions aucune chance nulle part, 40% ou pas. Sans évoquer le fait que nos salaires martiniquais ne sont déjà pas élevés selon les standards du Premier Monde dans lequel des pays prospèrent avec des populations plus aisées que la nôtre.

Nous ne sommes plombés par nos coûts relativement élevés (qui ne le sont d’ailleurs pas à cause du niveau des salaires, et que du reste une suppression des 40 % ne réduirait pas sensiblement) que pour autant que nous choisissons, comme nous l’avons hélas fait, de nous positionner là où seul le prix compte, comme le font les pays du Tiers-monde auquel nous nous identifions et auxquels d’autres nous identifient alors même que nous n’en avons pas les caractéristiques.

L’exemple du tourisme est bien celui-là : à force d’accepter depuis 30 ans - sans y être obligé - de jouer le rôle de destination du tiers monde auquel nous ont assignés les Tours-opérateurs parisiens, assimilés avec la Tunisie, le Sénégal ou Saint Domingue et autres contrées de sous-développement et de régression sociale, à force de confondre le nombre de touristes avec la contribution du tourisme au PIB martiniquais, nous avons fini par nous mettre en concurrence avec ceux qui savent forcément mieux que nous se battre sur les prix et la déférence attendue par les titulaires de forfaits "all inclusive' pour pas cher. Concurrence sans issue dont nous essayons de sortir en bradant toujours un peu plus notre capital, et en accueillant de plus en plus de "FRAMeurs" qui nous rapportent 3 ou 4 fois moins que le dernier des touristes anonymes appartenant aux segments internationaux à forte valeur ajoutée que nous avons réussi à faire fuir.

On trouve maintenant ici des gens de toutes conditions qui croient dur comme fer que c’est Saint-Domingue et Cuba qui font naturellement de l’ombre à notre tourisme, alors que les pays sérieux moins dotés que nous comme Barbade, l’Ile Maurice, la Sardaigne, les Seychelles, voire Sainte-Lucie et Saint-Bath, ont su éviter l’impasse de la concurrence sur les prix, sans que ce soit une question de souveraineté, d’emballage institutionnel ni de compétitivité-prix. Il y a même des gens parmi nous qui veulent des aides de l’Etat, des autres collectivités, de l’Europe ou de Dieu seul sait qui au lieu de travailler leur marketing. D’autres vont jusqu’à préconiser une suicidaire « labellisation » de la destination, histoire de s’enfoncer un peu plus dans l’impasse que les destinations ambitieuses refusent par principe.

Pire encore, la Martinique est représentée à la Foire de Paris.

Ceci pour dire que l’argument répandu selon lequel les 40 % alourdissent des coûts qui plombent le développement ne tient que si l’on se conforte dans l’idée d’une Martinique enfermée dans le choix de la vente de sa seule sueur, à l’inverse de la voie choisie par les pays insulaires émergents dont les politiques économiques ont récusé le modèle de l’Habitation encore en vigueur dans nos stratégies économiques collectives.

Il n’est pas exclu que leur suppression corrige marginalement les dysfonctionnements de notre société, au prix d’un dur sacrifice du pouvoir d’achat des fonctionnaires ou de ce qui en reste (à moins qu’il ne s’agisse de sanctionner leur consommation présumée ostentatoire), mais cela ne changera rien au problème de fond qui est l’absence d’ambition et de stratégie collectives, que le statut actuel et moins encore le niveau de ressources financières ne peuvent suffire à expliquer.

{{ALBERT LEMONTIER}}

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages