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TEREZ LEOTIN SIGNE "ALIS AN MERVEYLANN" A LA LIBRAIRIE ALEXANDRE

Samedi 24 mai à 9h00
TEREZ LEOTIN SIGNE "ALIS AN MERVEYLANN" A LA LIBRAIRIE ALEXANDRE

Samedi 24 mai à 9h, Térez Léotin, l'écrivaine créolophone martiniquaise, signera son dernier ouvrage, "ALIS AN MERVEYLANN" à la librairie Alexandre, à Fort-de-France. Pour avoir un avant-goût de traduction/recréation du célèbre "ALICE AU PAYS DES MERVEILLES" de Lewis Carroll, nous donnons à lire ci-après la préface de l'ouvrage écrite par Jean Bernabé...

Pawol douvan, anba plim Jean Bernabé : Térez Léotin a dédié une bonne part de son temps et de son énergie à l’enseignement. Cette activité professionnelle ne l’a pas pour autant coupée de la littérature, pas seulement reçue, mais aussi produite. Dans ses préoccupations d’enseignante focalisée sur l’école maternelle, elle n’a pas manqué d’intégrer une dimension créative, sous couvert de la fiction ludique à destination des enfants, comme en témoigne, par exemple, une de ces dernières publications intitulée Miminou.

Le souci et la volonté de participer à la valorisation de la langue et de la culture créoles imprègnent son œuvre et se sont manifestés dans un éventail de genres littéraires allant du plus proche de la tradition orale jusqu’à la dimension romanesque. Les œuvres de Térez Léotin sont animées d’une ambition qui, associée au talent, vise de plus en plus à la refondation à terme de notre langue créole à travers l’acte d’écriture, acte dont tout auteur créolisant devrait mesurer et assumer la responsabilité. Tout comme le mouvement littéraire de la Négritude avait dénoncé le doudouisme, le mouvement de la Créolité dans ses diverses composantes, doit renoncer au parasitage de la langue française. Confiant avait signalé la double tâche qui incombe au « marqueur de parole », confronté à la nécessité non seulement d’écrire un texte mais aussi d’inventer la langue propre à l’écriture de celui-ci. Térez Léotin est aussi consciente de la vocation et du rôle du marqueur de parole. Je n’en veux pour preuve que l’entreprise dans laquelle elle s’est lancée depuis quelques mois et qui, véritable défi, aboutit à la présente traduction-interprétation créole d’Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll. Ayant eu le privilège de prendre connaissance de ce travail bien avant son édition, je suis en mesure d’en évaluer les prouesses tout autant que les promesses. L’authenticité d’un créole, puisé dans les tréfonds de son enfance spiritaine (elle est originaire de la commune de Saint-Esprit, d’une ruralité profonde) se marie à une audace propre à féconder une langue en proie à une perte progressive de sa substance sous l’effet d’une décréolisation que je qualifie de procurative. Ce qualificatif désigne le fait que, de plus en plus, les créolophones produisent des énoncés créoles à partir d’une énonciation française, quitte à introduire dans leur parole des stéréotypes créoles, dont les plus saillants sont la particule « ka », la chute des « r » ou encore la transformation de « u » en « i ». L’extension des domaines d’emploi du créole, langue d’origine rurale, explique en grande partie une telle pratique et justifie que la présente préface soit écrite en français et non pas en créole afin d’être largement accessible. Chaque chose en son temps, la précipitation ne saurait faire office de stratégie ! D’où il ressort que nous devons travailler à la maturation du créole tout en sachant qu’une langue ne se transforme pas du jour au lendemain. Que le locuteur de base se refuse à prendre conscience de ces réalités et des impératifs qui en découlent, cela peut se comprendre, vu la nécessité où il se trouve de se protéger contre les effets de l’insécurité linguistique qu’entraînerait une telle prise de conscience. Mais que ceux qui veulent faire œuvre d’écriture s’enfoncent dans le déni et la politique de l’autruche, voilà une attitude plus qu’inquiétante.

Croire qu’il suffit à une langue d’être graphiée (autrement dit, notée par écrit) pour qu’elle accède par là même au statut littéraire relève d’une dangereuse naïveté. Il est par ailleurs acquis que la traduction constitue l’un des exercices les plus efficaces pour amener une langue à un statut relevant de la scripturalité. L’exemple de la traduction de la Bible est à cet égard très éloquent, quand on mesure son impact sur le développement des langues européennes que sont, par exemple, le français et l’allemand. Voilà un quart de siècle que le poète et diseur de parole Joby Bernabé a traduit la Bible en créole. Si, malgré son talent de traducteur, pareille entreprise n’a pas fait avancer de manière décisive la langue créole sur la voie d’une assomption littéraire, c’est, d’une part, qu’elle n’a pas été accompagnée d’un vaste mouvement de même nature et, d’autre part, qu’elle n’a pas encore atteint un degré de maturité décisif. Pour le créole comme pour toutes les langues, la traduction parce qu’ouvrant sur la sphère de la littérature, constitue un atelier, voire une rampe de lancement, à condition qu’elle soit nombreuse. Elle oblige alors la langue qui traduit à se dépasser au travers de sa confrontation avec la langue traduite, surtout quand cette dernière est fortement constituée.

La langue créole ne pourra jamais devenir une langue littéraire, si elle n’est pas portée par un nombre conséquent de lecteurs. Or, il y a aujourd’hui une réelle difficulté à intégrer le lectorat à la métamorphose scripturale du créole, laquelle ne peut être que collective, même si l’impulsion est donnée par des individus. La désaffection en question est en rapport avec la non-prise en compte, par les codes graphiques actuellement en vigueur, des mécanismes physiologiques et cognitifs de l’acte de lecture. Lire le créole écrit de cette façon demeure une démarche particulièrement difficile, en raison de son inadéquation qui provient de la rigidité des codes intégralement phonétiques. L’écriture n’est pas une affaire vocale impliquant le circuit bouche-oreille, c’est une aventure oculaire. Une graphie qui est dépourvue de « creux et de bosses » est forcément inappropriée. Or, dans un contexte écologique qui confronte le créolophone à des textes écrits de façon largement majoritaire en langue française et où la variation graphique est reine, un système phonétique, trop rigide et porteur d’une textualité extrêmement minoritaire, ne peut que défavoriser, voire démotiver la lecture. En-deçà même de l’enrichissement de la langue et de son développement à travers les textes écrits, il faut donc prendre en considération la très pragmatique question de la notation graphique du créole. Audace, mais aussi ouverture d’esprit grâce à quoi Térez Léotin, à rebours de tous les conservatismes et corporatismes, a d’emblée souscrit à l’utilisation d’un code graphique plus adéquat que celui actuellement en vigueur. Il s’agit du standard III du système GEREC.

L’accès d’une langue orale, quelle qu’elle soit, au statut littéraire est largement fonction de son degré d’autonomie et d’intensité lexicales. Le français et l’allemand comme langues-cibles de la traduction de la Bible étaient, au XVIème siècle, déjà parvenu à un niveau critique, leur permettant d’engager une rapide démarche scripturale. Ces langues ont derrière elles un passé beaucoup plus long que le créole et leur rapport avec la langue de la Bible, n’est pas celui que le créole entretient avec le français, sa langue lexicalement pourvoyeuse. Autrement dit, il existe une relation de continuité lexicale entre créole et français, ce qui situe très haut le défi d’une langue créole apte à dire des réalités nouvelles sans le recours au français. Quelle issue alors, sinon la néologie, pour permettre le développement du créole ? La néologie elle-même a deux versants : le premier relevant de la pure imagination de l’écrivant risque par la même, de se heurter au mur de l’incommunication avec le lecteur ; l’autre, que je qualifie de structurelle, relève d’une créativité selon les règles de la langue créole, créativité trop souvent en panne pour des raisons qui tiennent précisément au parasitage du français par le créole.

La littérature créole en construction ne peut ni se contenter de parasiter la langue française, ni se satisfaire d’un langage autistique. Elle ne doit pas non plus se laisser séduire par les sirènes d’un surréalisme hors de raison, parce que pas encore de saison. Chaque langue a son sillon propre. Tant que le créole ne se sera pas constitué littérairement, la pratique surréaliste constituera une démarche mimétique, incapable de tenir compte de la réalité organique et du degré de maturité du créole qui a besoin d’audace créative, mais aussi d’ancrage dans le réel de la communication, voire de la communion avec le lectorat. Pareille assertion implique que son authenticité ne soit pas tributaire d’une simple pratique de chimiste du langage, sortant de ses alambics mentaux un lexique flamboyant mais arbitraire, résultat d’un travail autarcique de l’imagination.

La démarche mise en œuvre dans cet ouvrage par Térez Léotin, prolonge les antécédents d’une pratique responsable et produit une langue inédite au tropisme néologique, une langue neuve aux inflexions fictives, et pourtant une langue tout à la fois d’imagination et de vraisemblance. Par là même, elle concrétise et illustre le propos de Césaire dans sa magnifique préface à la réédition des œuvres complètes du grand poète créolisant Gilbert Gratiant. Si Césaire est conscient de ce que son propre cri de révolte poussé dans le Cahier d’un retour au pays natal n’aurait pu s’accommoder de la langue créole, cela ne l’empêche pas de reconnaître l’authenticité du langage poétique de l’auteur de Fab Compè Zicaque. Il voit en Gratiant non pas un simple utilisateur du créole, un chimiste de laboratoire déconnecté du réel, mais un véritable alchimiste réinventant cette langue par la densité et la magie de sa poésie.

Aux yeux de Césaire -- et je souscris pleinement à sa vision --, un poète n’est pas seulement un être doué de sensibilité, un locuteur inscrit dans une langue donnée, c’est quelqu’un qui, parvenant à trouver la bonne articulation entre son affectivité et un idiome, quel qu’il soit, réussit à créer un langage dans la langue. Dès lors, véritable miracle, la poésie n’obéit à aucune sommation et résulte d’un acte libre. Aussi, transportés par la beauté des chansons du Saint-Pierre d’avant l’éruption volcanique de 1902, ne nous posons-nous jamais la question de savoir si la langue qui les porte est proche ou non du français. Or, un examen froid de leur vocabulaire révèle un lexique très francisé. De toute évidence, la beauté fusionnelle de leur mélodie et de leurs paroles échappe par nature à la problématique de la décréolisation telle que décrite précédemment. Comme quoi la séduction de la parole créole, musicale ou non, ne se mesure pas à l’étendue de la distance qui la sépare du français. Le Beau ne réside pas forcément dans la déviance par rapport à la langue séculairement établie comme dominante. Cela dit, si la réalité de l’autonomie esthétique du domaine musical et poétique s’impose à nous, il n’en reste pas moins vrai que la puissance constructive, du créole dans sa dimension parlée ou écrite ne saurait non plus résider dans une dépendance accrue par rapport au français, sa langue lexicalement pourvoyeuse, même s’il ne s’agit pas pour le créolophone de faire de cette dernière une ennemie symbolique.

Avec les progrès de l’instruction publique, le temps est révolu où le conflit des langues traversait la société, séparant les prétendues élites des masses populaires. Aujourd’hui, c’est en chacun d’entre nous que se produit le « partage des eaux ». A la fois créolophones et francophones, nous devons assumer cette condition en promouvant le duo et non le duel, l’harmonie et non le clivage. Au rebours de cette dernière disposition d’esprit, nous devons préserver notre équilibre et notre sécurité linguistiques, en travaillant à ce que la promotion du créole ne soit pas une injonction purement verbale, mais l’expression d’un travail d’enrichissement, dans lequel la littérature créole détient un rôle privilégié. Il en va du reste de notre épanouissement personnel et collectif, car prolonger la diglossie par une manière de schizoglossie serait une véritable catastrophe.

Les médias ont assurément un rôle déterminant à jouer dans la promotion d’un créole renouvelé, sauf que leur vocation étant la communication, ils ne peuvent risquer l’incompréhension. On ne peut nier les efforts réalisés par certains intervenants en vu d’acclimater un vocabulaire moins francisé. Mais force est de constater que le stock des termes auxquels ils recourent demeure limité et confine à une certaine répétitivité. On y retrouve par exemple : doukou, djok, kantékant, plodari, potalan, véyatif, mété douboutt, voyé pli douvan, toutes expressions retenues, de façon étonnamment sélective et stéréotypée, des très nombreuses propositions formulées par le GEREC. Térez Léotin va au-delà de cette frilosité et, en utilisant un éventail bien plus large du lexique (résultat d’enquête et néologismes structurels compris) du GEREC, en assumant les risques d’une immédiate incompréhension, elle impulse un nouvel élan à la reconstruction du créole.

Le critère de littérarisation d’une langue réside dans le niveau de diffusion, d’appropriation et de reproduction de son réseau lexical littéraire. Il est à espérer qu’Aliss nan mèveylann constituera une des occasions d’amorcer de façon décisive le processus de scripturalisation du créole.

La dynamique insufflée au présent ouvrage tend à rééquilibrer à terme la relation que chacun d’entre nous nourrit avec ses deux langues co-maternelles. Qui plus est, loin de toute stigmatisation -- génératrice d’insécurité linguistique -- opposant le « bon créole » des « grangrek » au « mauvais créole » des locuteurs de base, cette traduction propose une mouture que je qualifie d’« obidjoul », différente en sa teneur d’une décoction qu’il n’est pas insultant de qualifier de « tjòlòlò », telle une « eau de café ». Et si un café trop fort n’est pas forcément bon pour la santé, est-il aberrant de chercher à trouver le dosage optimal de caféine utile à une énergie renouvelée du corps et de l’esprit ? En tout cas, pour ceux qui ne sont pas allergiques au café ! Heureusement, le temps où le créole déclenchait des allergies est passé !

Nul doute que l’ouverture d’esprit de Thérèse Léotin, l’authenticité de sa rhétorique et son sens poétique, toutes qualités soutenues par un courageux pragmatisme graphique, ne soient aussi les plus sûres garanties du succès de cet ouvrage auprès des différents publics amenés à en prendre connaissance. Nul doute aussi que la présente publication ne marque l’émergence d’une ère nouvelle, ouvrant, au-delà des itinéraires du « marqueur de parole », sur l’empreinte féconde laissée par l’indélébile marque de sa parole !

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