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« Terre d’ébène » (1929) d’Albert LONDRES (1884-1932)

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
«  Terre d’ébène » (1929) d’Albert LONDRES (1884-1932)

« Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Albert Londres

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Le premier compte rendu d’Albert Londres, alors correspondant de guerre, raconte la destruction par les Allemands de la cathédrale de Reims en septembre 1914. Par la suite, il fait des reportages au Japon, en Chine, en Inde, en Palestine, dans les Balkans, à une époque où les informations sont rares en France concernant ces pays. Il lui arrivera d’effectuer, sous couvert d’investigations journalistiques, des missions en tant qu’agent secret. En 1923, il publie un article sur l’ignominie représentée par le bagne en Guyane, « une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice » puis s’intéresse aux souffrances des prostituées, des malades mentaux. Au terme d’un voyage en Chine, il trouve la mort dans l’incendie du bateau qui le ramène en France. Le reportage qu’il a fait dans ce pays, disparaît avec lui.

 

En 1927, Albert Londres séjourne en Afrique Occidentale Française (AOF). L’année suivante, il publie un article intitulé  Quatre mois parmi nos Noirs d’Afrique.  En 1929, parait Terre d’ébène dans lequel il décrit notamment les fonctionnaires coloniaux. «  La carrière, constate-t-il, s’est dangereusement embourgeoisée. On s’embarque maintenant avec sa femme, ses enfants et sa belle-mère. C’est la colonie en bigoudis. » Albert Londres écrit dans des journaux conservateurs, il a la mentalité propre à son époque. Son reportage riche en portraits et anecdotes  nous livre une fresque  qui se veut truculente aux dépends le plus souvent des indigènes. Les Africains, « la race maudite » sont décrits de façon violemment péjorative : « Ils vous regardent, dit-il, comme si dans le temps ils avaient été des chiens à qui vous auriez donné du sucre. » Sous sa plume le nègre est bête et d’une docilité pathologique : « Voici, écrit-il, sept prisonniers en file indienne liés par une corde qui leur tient le cou. Ces sept têtes semblent sept gros nœuds faits à cette corde. Je saurai plus tard qu’un tirailleur les accompagne, bien plus tard, le tirailleur étant cinq kilomètres en avant ! Ils suivent ! » Mais quand il détient l’autorité, nous précise Albert Londres,  « le nègre est féroce pour ses frères » et ses croyances le portent à l’anthropophagie. Dans l’ensemble ses mœurs sont décrites comme relevant du ridicule ou d’une grande sauvagerie. Il ne reconnaît aux Africains qu’une seule vertu : «  Ils pratiquent le vrai communisme. Aucun n’est jamais tombé d’inanition » et il ajoute : «  Quand ils meurent de faim, c’est en masse, tous en chœur et dans une même famine. ». Le regard porté par Albert Londres sur les Africains est extérieur. Vers la fin de l’ouvrage, il écrit : « Il faut chercher à comprendre les actions des hommes », alors qu’il ne l’a pour ainsi dire jamais fait. Il se contente de décrire des personnages et des situations de façon attractive pour le lecteur.

 

Pourtant, le reportage d’Albert Londres provoque, en France, lors de sa publication un tollé dans les rangs des responsables gouvernementaux et des colonialistes. Le journaliste est vilipendé, traîné en justice car courageusement pour l’époque, il y jette quelques pavés dans la mare. Il décrit notamment la façon qu’ont les Français de duper les Africains pour faire de l’argent en profitant de leur ignorance. On leur vend des ciseaux dont les branches ne se touchent pas, des chandelles sans coton, des peignes sans dents… « Cela s’appelle officiellement, dit-il, de la marchandise de traite ! » Il stigmatise le sort tragique réservé aux enfants métis ou « mulots » rejetés par les blancs et par les noirs à commencer par leurs géniteurs. Il dénonce surtout sans ambiguïté et de façon magistrale l’exploitation des Africains et l’utilisation abjecte de leur force de travail en tant que coupeurs de bois et poseurs de rails. Un travail contraint sous l’injonction de la chicotte. « On agit, dit-il, comme s’ils étaient des bœufs ». Un chef de chantier explique : « Je suis celui qui fait le moins de morts dans la région. Que voulez-vous, pénible à dire, mais la machine ne peut remplacer le nègre. Il faudrait être millionnaire. Le moteur à bananes, il n’y a rien de mieux. »

 

Albert Londres prend le train, il songe alors que chaque traverse a vu la mort d’un Africain « tombé pour la civilisation ». Mais si Albert Londres pourfend certains aspects de la politique coloniale de son pays, c’est d’abord pour montrer que les abus et crimes commis vont conduire la France à la perte de son empire. * Près de trois millions d’Africains ont déjà quitté le territoire français, une révolte a éclaté dans l’Oubangui-Chari et le gouvernement apathique ne réagit pas. Un remède ? « Le moteur à essence,  préconise Albert Londres, doit remplacer le moteur à bananes. ».  Ses écrits ont forcé le gouvernement à pratiquer certains ajustements de sa politique dans les domaines auxquels Albert Londres s’est intéressé.

 

Aujourd’hui, Albert Londres est considéré comme un pionnier en matière de journalisme d’investigation. Il est une référence en la matière. Chaque année, les meilleurs journalistes francophones sont distingués par le Prix Albert Londres.

 

 Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

 

*On se souviendra qu’avant Albert LONDRES, le Guyanais René MARAN, administrateur colonial, Prix GONCOURT 1921, dénonçait déjà les excès de la politique coloniale dans son « roman nègre » intitulé  Batouala. En 1927, l’écrivain André GIDE publia à son tour un ouvrage intitulé Voyage au Congo puis un autre en 1928, Retour du Tchad, qui vulgariseront ces critiques. 

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