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Une analyse décapante...

Serghe KECLARD
Une analyse décapante...

   Il m'arrive de cheminer dans un supermarché, à la périphérie du Lamentin, à la recherche de produits de haute nécessité - des paquets de biscuits salés bòkay, par exemple - et de jeter un coup d'œil au présentoir des livres. Je m'y attarde volontiers parce que des ouvrages de qualité, en tous genres, y sont souvent exposés. 

  Aussi, la semaine dernière, m'y suis-je arrêté et un livre a attiré plus particulièrement mon attention : sa première de couverture blanche est illustrée de la reproduction d'une photo de  femme noire, portant lunettes, riant (à pleines dents ou en colère ?) et arborant fièrement cheveux crépus en liberté. Le titre de l'ouvrage, en gros caractères, plutôt provocateur, se décline ainsi : "Le Racisme est un problème de Blancs". Reni Eddo-Lodge en est l'autrice. Journaliste britannique de son état, elle collabore au New-York Times et au Guardian.

  Le moment de surprise passé, je me suis reporté, incontinent, à la quatrième de couverture et là, je tombe des nues, tant la puissance des mots, qui s'y étalent, rentrait en résonnance avec mes propres préoccupations : «Quand des Blancs feuillettent un magazine, surfent sur Internet ou zappent à la télévision, il ne leur semble jamais étrange de voir des gens qui leur ressemblent en position d'autorité.», ou encore «le racisme va bien au-delà de la discrimination ou de l'injure personnelle. Il imprègne le récit historique, l'imaginaire collectif, les institutions  et les entreprises.» voire «pour déconstruire le racisme, il faut commencer par reconnaître l'étendue du privilège blanc.»

  Je ne m'étais pas trompé : ce qui est annoncé dans le paratexte, se retrouve, magistralement, explicité, décortiqué, dans le texte-même de l'essai. Déjà dans la préface, l'auteure évoque la genèse de son œuvre. C'est à partir, en effet, d'un article publié sur son blog, en 2014, qui s'intitulait «Pourquoi je ne parlerai plus de race avec les Blancs» - et qui eut un retentissement considérable sur les réseaux sociaux en Grande-Bretagne, - qu'il lui fut commandée par les éditions Bloomsbury Circus, sous le même titre, une version plus longue et forcément approfondie, publiée en 2017, de sa réflexion initiale. À la perspective inédite car inversée, puisque la cible n'était plus, comme à l'accoutumée, la communauté noire ou de couleur, mais la majorité des Blancs.

  De manière percutante et rigoureuse, Reni Eddo-Lodge, anglaise, de mère nigériane, déconstruit tout l'appareillage idéologique qui sous-tend l'idée généralement répandue qu'il n'existe qu'une seule race, la race humaine. Elle s'appuie sur des faits historiques précis, sur sa riche expérience de journaliste et de femme noire, sur sa connaissance fine du système sociétal anglais et l'analyse peu conventionnelle qu'elle fait du féminisme blanc et noir. Alors, elle nous prévient : «Choisir de ne pas voir la race n'aide pas à déconstruire les structures racistes ni à améliorer concrètement le sort quotidien des personnes de couleur.» Puisque, selon elle, «Pour qu'il y ait racisme [...] il faut qu'il y ait préjugés et exercice de pouvoir.» Et toute la volonté de l'essayiste est, d'une part, de tendre vers la mise en exergue du privilège de la blanchité, qui est de «vivre sans les conséquences négatives du racisme», d'autre part, de montrer la logique qui veut que «si vous êtes blanc, votre race aura très certainement, d'une manière ou d'une autre, une influence positive sur votre parcours de vie. Sans même que vous ne vous rendiez compte.»

  En fait, tout l'intérêt de Le racisme est un problème de Blancs, de Reni Eddo-Lodge, c'est de nommer très clairement le problème afin de «considérer le racisme de manière structurelle pour en percevoir la nature insidieuse» et de le circonscrire frontalement en refusant tout faux-fuyant : celui, par exemple, d'avoir peur de froisser la susceptibilité du Blanc, de lui donner  mauvaise conscience ; celui de la crainte de l'étiquette de «femme noire en colère», prétendument infâmante, lancée à la cantonade dans sa direction pour la réduire au silence. Les choses sont désormais claires pour l'autrice, son parti-pris est l'honnêteté : «Je me suis dit: rien à foutre. J'ai décidé de dire ce que je pensais vraiment.»

  En définitive, si dans cet essai stimulant à plus d'un titre, la journaliste et essayiste au verbe acerbe, décapant au possible, qu'est Eddo-Lodge, ne semble s'intéresser qu'à l'Angleterre (non aux USA, comme on le fait d'habitude) et à sa question blanche, j'y ai, néanmoins, perçu une analyse qui pourrait, à bien des égards, s'appliquer, non seulement à cette France blanche d'aujourd'hui qui a peur, à tout territoire où se côtoient Blancs et Gens de couleur, mais aussi à notre pays, la Martinique. Cette blanchité à deux visages, exogène et endogène, avec son pouvoir, ses privilèges et ses laquais, n'illustre-t-elle pas le racisme structurel qui sévit encore aujourd'hui à La Martinique, d'autant plus pernicieux, qu'il se drape de la belle devise : Liberté, Egalité, Fraternité ? 

   C'est la raison pour laquelle il faut lire, de toute urgence, Le racisme est un problème de Blancs  de  Reni Eddo-Lodge. «Déconstruction d'un pouvoir non partagé : la blanchité», Le racisme est un problème de Blancs, de Reni Eddo-Lodge, (traduit de l'anglais par Renaud Mazoyer) Ed. Autrement, sept. 2018  

                                                                                                  Serghe Kéclard, oct.2018 

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