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Une Turquie à la recherche de son identité.

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
Une Turquie à la recherche de son identité.

Prix Médicis étranger 2005, Neige est un roman touffu, un texte très littéraire sans hermétisme, qui nous présente, à travers le regard d’Orhan Pamuk, une Turquie à la recherche de son identité.

 

Kerim vit en Allemagne. Au début du roman, après douze ans d’exil, il est de retour dans son pays, la Turquie. Nous le surprenons dans un autocar faisant route vers la petite ville de Kars.

Kerim Alakuşoğlu n’aime pas son nom, il veut être appelé Ka. Né à Istanbul, dans une famille républicaine et laïque, il n’a pas reçu d’enseignement religieux. Agé de quarante-deux ans, ancien militant de gauche, célibataire endurci, solitaire et triste, c’est un poète.

 

D’emblée, le narrateur établit une connivence avec le lecteur, auquel il s’adresse très souvent. Il évoque aussi son intimité avec le personnage. Ka se rend à Kars pour plaire à un ami journaliste qui l’a chargé de suivre les élections municipales et aussi d’enquêter sur une série de suicides inexpliqués. Il espère également revoir İpek une belle camarade connue à l’université.

 

La ville de Kars, bâtie d’immeubles en béton sans âme se révèle déserte et sinistre. Le personnage y change d’univers et ce passage est marqué par la tombée d’une neige drue et incessante, annonciatrice de grands bouleversements dans sa vie. Mais Ka ne le pressent pas. Le lecteur lui-même a l’impression d’être entré dans un sas. Guidé par le narrateur, il a quitté le monde connu pour entrer dans un autre, plus mystérieux, à découvrir. Ce monde mystérieux c’est la société turque.

 

Ka commence son enquête sur les suicidées. L’affaire est étrange, c’est comme une épidémie qui ne toucherait que des jeunes femmes sans histoires, se donnant une mort programmée de longue date, sans que leurs proches ne décèlent aucun signe avant-coureur. Chose étonnante, toutes ces femmes, musulmanes pratiquantes portant le foulard, ont enfreint un des commandements de leur religion, celui proscrivant le suicide.

 

Dans la ville, tous veulent rencontrer le poète, lui demander son avis quand ils ne tentent pas de le rallier à leurs points de vue. Ka se prête au jeu, un malaise l’envahit parfois. L’idée lui vient même de fuir, mais la tempête de neige recrudescente a bloqué les routes, le prenant au piège. Nuit d’insurrection. Répression. Il se trouve pris dans la tourmente,  malgré lui.

 

Au fil des conversations et des événements, se révèle une société turque complexe, partagée entre la volonté de s’occidentaliser et celle de se tourner vers un islamisme militant, une société cadenassée où croire en Dieu ne signifie pas « la rencontre d’un seul homme avec la plus haute pensée et le plus grand créateur, mais avant tout l’entrée dans une communauté et un réseau. » Des retours sont faits sur l’histoire de la Turquie, des débats éclairent les enjeux politiques du moment, à savoir les questions de laïcité, de démocratie.

 

Ce roman nous plonge dans un univers à la fois étranger et familier. L’intrigue se développe dans un pays éloigné de nous, la Turquie héritière de Mustapha Kemal Atatürk son bâtisseur, dont l’idéal de laïcité semble aujourd’hui mis à mal. Mais les thèmes traités nous touchent de près: la quête de soi-même, l’amour, la place de l’individu dans sa société, la religion, l’engagement politique, les interrogations existentielles, voire métaphysiques.

 

Prix Nobel de Littérature 2006, Orhan Palmuk est un homme engagé, qui n’est pas en odeur de sainteté dans son pays, mais son livre Neige n’est pas un roman engagé au vrai sens du terme. L’auteur y exprime, à travers de nombreux dialogues, tous les points de vue. Son engagement ne transparaît que dans sa volonté d’éclairer la scène politique turque dans son ensemble et de mettre en évidence la multiplicité et la complexité des enjeux.

 

Ses personnages sont bien souvent envahis par le doute. Ainsi  Fazil, le croyant inopinément sujet à un coup de foudre, tremble-t-il à l’idée de devenir athée. Il s’exclame : « Je me rends compte que, tout comme un athée, je ne peux plus désormais croire en rien d’autre qu’en l’amour et au bonheur. » Au contraire, Ka, laïque convaincu, éprouve le besoin contrarié de croire: « Je veux être un citoyen de base comme vous autres, qui croit au Dieu auquel vous croyez, mais l’occidental en moi m’en empêche. » Quant à Turgut Bey un ancien communiste devenu libéral, il s’interroge : « Moi, à présent, en tant que communiste, moderniste, laïc, démocrate et patriote, est-ce qu’il faut que je croie d’abord aux Lumières ou en la souveraineté du peuple ? »

 

Un des thèmes récurrents dans l’ouvrage est celui de la création poétique, traité le plus souvent de manière plaisante. En effet, Ka est sujet à des bouffées d’inspiration qui le surprennent à l’improviste, à des moments parfois inopportuns ou dans des lieux improbables.

 

Le texte est, dans son ensemble, traversé par un humour diffus, qui fait sourire. Les personnages prennent, à l’occasion, des postures stéréotypées, calquées sur celles des acteurs de films d’action ou de feuilletons. Les situations sont relatées avec une foule de détails mais aussi, paradoxalement, avec une distance propre aux contes philosophiques. Les personnages ne semblent pas toujours faits de chair et de sang, c’est la signification de l’anecdote qui prime. Ainsi Ka escorté par un homme de la Sécurité, déambulant à travers cellules de tortures et morgue, fait penser au Candide de Voltaire, arpentant les champs de bataille où s’étripent Abares et Bulgares.

 

Au fil des 44 chapitres de son roman, Orhan Palmuk fait preuve d’une verve et d’une imagination extraordinairement foisonnante, quand on pense que le récit, de presque 500 pages, ne couvre que deux ou trois jours de la vie d’un homme (avec des incursions, il est vrai, dans son passé).  

 

Les anecdotes et les dialogues demandent une lecture approfondie, on ne lit pas Orhan Pamuk en diagonale car son ouvrage est à l’image de la vie elle-même, riche, imprévisible et ses personnages à facettes, complexes, vulnérables, nous ressemblent.

 

 Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

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