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« Victoire, les saveurs et les mots » de Maryse CONDE

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« Victoire, les saveurs et les mots » de Maryse CONDE

Dans cet ouvrage, Maryse CONDE, reconstitue l’histoire de sa famille. Elle raconte avec la volonté affichée de ne rien travestir (faut-il croire l’écrivaine ?), à commencer par les noms des siens et les différents épisodes de leur histoire personnelle, datés et circonstanciés. De plus, l’auteur se met en scène en tant que meneuse d’enquête. Afin d’en en savoir plus sur ses origines, elle fouille dans les papiers et archives, elle interroge les témoins, lit les journaux de l’époque, elle se déplace sur le terrain. Mais pour expliciter certains points obscurs, interpréter des comportements énigmatiques, Maryse Condé se souvient bien sûr qu’elle est romancière et elle invente de quoi raccommoder les lambeaux d’une histoire pleine de trous et de silences.

 

Les arrière-grands-parents Oraison Quidal, pêcheur marie-galantais, et sa cousine Caldonia Jovial ont ensemble de nombreux enfants, dont Eliette qui, à quatorze ans, se trouve enceinte et meurt en couches. Son bébé Victoire naît avec des cheveux lisses, une peau rose et des yeux clairs. Fille d’un blanc non identifié, l’enfant est élevée par sa grand-mère qui l’adore. Plus tard, Victoire est engagée comme servante chez les Jovial qui l’exploitent ; elle est au service de leur fille Thérèse. Le maître de maison reçoit beaucoup de politiciens socialistes à sa table, l’un d’eux, Dernier Argilius, instituteur, ancien disciple  zambo de Légitimus,  courtise Thérèse et engrosse Victoire, la servante de 16 ans, avant de disparaître. Victoire donne naissance le 28 avril 1890 à une jolie petite Jeanne, portrait craché de son géniteur, qu’aucun prêtre n’acceptera de baptiser parce qu’enfant du péché.

Victoire quitte Marie-Galante pour Pointe-à-Pitre où elle entre au service d’un couple de blancs-pays. Victoire devient l’amie d’Anne-Marie Walberg (les mauvaises langues insinueront que les deux femmes étaient surtout des zanmi), et la maîtresse de Boniface Walberg. Jeanne Quidal, maman de l’auteure et future « noiriste » convaincue sera donc élevée chez des blancs qui aideront plus tard,  financièrement, à son entretien et à son éducation.

Jeanne fera de brillantes études. Ses rapports avec sa mère seront toujours empreints de rancune ; jamais elle n’assumera le fait d’être la fille sans père d’une servante maîtresse d’un blanc. Victoire souffrira toujours de la froideur de sa fille. Mère et fille s’aimeront plus que tout dans le secret de leur cœur, martyrisées par l’impossibilité d’exprimer cet amour. Jeanne épousera Auguste Boucolon,  un grannèg présentant bien et ayant une bonne situation. Maryse naîtra de leur union mais l’auteure arrête son récit avant qu’il n’en soit question. Il faut lire dans la même veine « Le cœur à rire et à pleurer », les contes vrais de son enfance.

Un thème récurrent dans l’œuvre de Maryse Condé parcourt le récit, celui de la culpabilité : Ici, culpabilité de la fille à l’égard de sa mère, culpabilité de la mère à l’égard de ses enfants. Cette culpabilité semble ancrée dans les méandres d’une généalogie marquée par la mort précoce de l’arrière grand-mère Eliette, la vie gâchée de la grand-mère Victoire et les rancoeurs d’une mère,  Jeanne, arc-boutée sur l’obsession d’un permanent contrôle d’elle-même et la hantise de déchoir. Nous devinons au terme du récit que l’auteure est forcément l’héritière de toutes ces blessures du passé.

 

L’histoire de sa grand-mère amène Maryse Condé à critiquer le comportement des hommes bénéficiant d’une notoriété due à leurs idées et actions politiques alors que dans leur vie personnelle, ils manquent d’intégrité. Victoire, jeune domestique mise enceinte à 16 ans, sera méprisée, on ne lui reconnaîtra pas un statut de victime alors que l’auteur du forfait, beaucoup plus âgé qu’elle et cultivé échappera à toute critique. Concernant donc Dernier Argilius, son grand-père fantôme qui a gâché la vie de sa grand-mère et sans vergogne « planté des bâtards poussés sans père », elle interroge : « Qu’est-ce qu’un homme exemplaire ? Ne comptent que les écrits, les discours et les gesticulations en public ? Quel poids la vie personnelle, le comportement intime ? Cela n’importe pas ? » Dans un autre de ses ouvrages autobiographiques La vie sans fard, Maryse Condé stigmatisera aussi pour cette même contradiction, le célèbre journaliste haïtien Jean Dominique, père absent de son fils Denis.

Dans ce texte l’écrivaine explore les rapports complexes liant les personnages les uns aux autres. Elle rend notamment justice à la famille de blancs-pays dans laquelle vécurent sa mère et sa grand-mère et elle s’interdit de l’affubler, pour plaire à certains lecteurs, de tares qui n’étaient en aucun cas les siennes : pas de violences sexuelles ou de morgue vexatoire. Boniface aime tendrement sa maîtresse Victoire, il lui pardonne ses trahisons et respecte Jeanne auquel il sert de tuteur. Sa femme Anne-Marie partage avec Victoire son goût pour la religion et la musique ; une amitié les lie au-delà des clivages sociaux et raciaux.

 

Mais le personnage central du récit reste la grand-mère, Victoire, une cuisinière dont les talents de cordon bleu permettront à l’auteur d’établir entre elles deux, une filiation fondée sur leur besoin respectif de créer, Victoire l’ analphabète, en mélangeant les saveurs, Maryse, l’écrivain, en mariant les mots.

 

 Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

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