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Pérou : après des décennies de néolibéralisme, victoire électorale de Pedro Castillo

Pérou : après des décennies de néolibéralisme, victoire électorale de Pedro Castillo

Ça y est ! Au terme d’un suspense dû à un décompte des votes qui s’est étalé sur plusieurs jours, le candidat socialiste Pedro Castillo a remporté les élections au Pérou.

Note : l’article ci-dessous est paru dans sa version originale avant la fin du décompte, et a été mis à jour pour refléter la victoire désormais acquise du candidat populaire.

Avec son chapeau de paysan à larges bords et son gros crayon d’enseignant, Pedro Castillo, du Pérou, a parcouru le pays pour exhorter les électeurs à soutenir un appel particulièrement urgent pendant cette pandémie dévastatrice : « No más pobres en un país rico » – « Jamais plus de pauvres dans un pays riche ».

Sa victoire est remarquable non seulement parce que c’est un fils de paysans illettrés et que ses dépenses de campagne ont été infiniment moindres que celles de son opposante, mais aussi parce qu’il a été la cible d’une campagne implacable de propagande

Dans le cadre d’élections dans un pays où le fossé entre les villes et les campagnes et entre les classes sociales est énorme, il semble que cet enseignant, agriculteur et dirigeant syndical ait battu la puissante candidate d’extrême droite Keiko Fujimori, héritière de la « dynastie Fujimori » politique du pays.

Fujimori conteste les résultats de l’élection, alléguant d’une fraude généralisée. Sa campagne n’a présenté que des preuves d’irrégularités isolées et, jusqu’à présent, rien n’indique que les élections aient été faussées. Toutefois, elle peut contester certains votes pour retarder les résultats définitifs et, comme aux États-Unis, une allégation de fraude de la part du candidat perdant sera source d’incertitude et de tensions dans le pays.

La victoire de Castillo est remarquable non seulement parce que c’est un enseignant de gauche, fils de paysans illettrés, et que sa campagne était largement moins bien financée que celle de Fujimori, mais aussi parce qu’il y a eu des attaques incessantes de propagande contre lui, qui touchaient à des craintes historiques de la classe moyenne et des élites péruviennes. C’était similaire à ce qui s’est passé récemment pour le candidat de gauche Andrés Arauz, qui a perdu de justesse les élections en Équateur, mais en plus intense.

Le Grupo El Comercio, un conglomérat médiatique qui contrôle 80 % des journaux péruviens, a mené la charge contre Castillo. Ils l’ont accusé d’être un terroriste lié au Sentier lumineux, un groupe de guérilleros dont le conflit avec l’État, entre 1980 et 2002, a fait des dizaines de milliers de morts, avec un lourd traumatisme de la population à la clé.

Le lien de Castillo avec le Sentier lumineux est ténu : Alors qu’il était dirigeant du Sutep, un syndicat de travailleurs de l’éducation, Castillo aurait été ami avec le Movadef, le Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux, un groupe qui aurait été l’aile politique du Sentier lumineux. En réalité, Castillo était rondero lorsque l’insurrection était la plus active. Les ronderos sont des groupes d’autodéfense paysans qui protégeaient leurs communautés des guérilleros et continuent à ce jour d’assurer leur sécurité contre la criminalité et la violence.

Deux semaines avant les élections, le 23 mai, 18 personnes ont été massacrées dans la ville rurale péruvienne de San Miguel del Ene. Le gouvernement a immédiatement attribué l’attaque à des éléments du Sentier lumineux impliqués dans du trafic de drogue, bien qu’aucun groupe n’en ait encore assumé la responsabilité. Les médias ont établi un lien entre l’attentat et Castillo et sa campagne, suscitant la crainte d’une recrudescence de la violence en cas de victoire à la présidence. Castillo a dénoncé l’attaque et rappelé aux Péruviens que des massacres similaires avaient eu lieu à l’approche des élections de 2011 et 2016. De son côté, Fujimori a laissé entendre que Castillo était lié au massacre.

Sur le front économique, Castillo a été accusé d’être un communiste qui veut nationaliser les industries clés et transformer le Pérou en une « dictature cruelle » comme le Venezuela. Des panneaux d’affichage, le long de l’autoroute principale de Lima, demandaient à la population : « Aimeriez-vous vivre à Cuba ou au Venezuela ? », en référence à une victoire possible de Castillo.

Les journaux ont établi un lien entre la campagne de Castillo et la dévaluation de la monnaie péruvienne, et ont prévenu qu’une victoire de Castillo ferait le plus grand mal aux Péruviens à faibles revenus, car des entreprises fermeraient leurs portes ou partiraient à l’étranger. À maintes reprises, la campagne de Castillo a précisé qu’il n’est pas communiste et que son objectif n’est pas de nationaliser les industries, mais de renégocier les contrats avec les multinationales afin qu’une plus grande partie des bénéfices reste dans les communautés locales.


Un journal péruvien répand la peur de l’effet Castillo sur la monnaie. Juste au-dessus (bandeau rouge), « Keiko garantit l’emploi, la nourriture, la santé et une réactivation immédiate de l’économie ». Marco Teruggi, @Marco_Teruggi)

Parallèlement, Fujimori a été traitée avec des gants de velours par les médias pendant la campagne, l’un des journaux (photo ci-dessus) affirmant que « Keiko garantit l’emploi, la nourriture, la santé et une réactivation immédiate de l’économie. »

Son passé de première dame pendant le règne brutal de son père Alberto Fujimori est largement ignoré par les médias grand public. Elle peut prétendre que « le fujimorisme a vaincu le terrorisme » sans se voir contestée sur les horreurs que le fujimorisme a infligées au pays, notamment la stérilisation forcée de plus de 270 000 femmes et 22 000 hommes, pour laquelle son père est en procès. Il est actuellement en prison pour d’autres violations des droits de l’homme et pour corruption, bien que Keiko ait promis de le libérer si elle gagnait. A également été ignoré le fait que Keiko elle-même est en liberté sous caution depuis l’année dernière, dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent, et que, sans immunité présidentielle, elle finira probablement en prison.

Les médias étrangers n’ont pas fait mieux dans leur couverture de Castillo et Fujimori, Bloomberg avertissant que « les élites tremblent » à l’idée que Castillo soit président et le Financial Times titrant « L’élite péruvienne panique à la perspective d’une victoire de la gauche dure aux élections présidentielles ».

L’économie péruvienne a connu une croissance impressionnante au cours des 20 dernières années, mais cette croissance n’a pas soulevé tous les bateaux. Des millions de Péruviens ruraux ont été abandonnés par l’État. De plus, comme nombre de ses voisins (dont la Colombie, le Chili et l’Équateur), le Pérou a sous-investi dans les soins de santé, l’éducation et d’autres programmes sociaux. Ces choix ont tellement décimé le système de santé que le Pérou a aujourd’hui la honteuse distinction d’être en tête du monde pour le nombre de décès par habitant dus au Covid-19.

En plus de ce désastre de santé publique, les Péruviens ont vécu des troubles politiques marqués par un nombre extraordinaire d’affaires de corruption très médiatisées, et quatre présidents en trois ans. Cinq de ses sept derniers présidents ont fait face à des accusations de corruption. En 2020, le président Martín Vizcarra (lui-même accusé de corruption) a été mis en accusation, destitué et remplacé par Manuel Merino. La manœuvre a été dénoncée comme un coup d’État parlementaire, entraînant plusieurs jours de manifestations massives dans les rues. Cinq jours seulement après son entrée en fonction, Manuel Merino a démissionné et a été remplacé par l’actuel président Francisco Sagasti.

L’une des principales propositions de campagne de Castillo était celle de la convocation d’un référendum pour permettre au peuple de décider s’il veut une nouvelle constitution ou s’il souhaite conserver la constitution actuelle, rédigée en 1993 sous le régime d’Alberto Fujimori, qui avait inscrit le néolibéralisme dans son cadre.

« La constitution actuelle donne la priorité aux intérêts privés sur les intérêts publics, au profit sur la vie et la dignité », peut-on lire dans son plan de gouvernement. Castillo propose qu’une nouvelle constitution comprenne les éléments suivants : la reconnaissance et la garantie des droits à la santé, à l’éducation, à l’alimentation, au logement et à l’accès à Internet ; la reconnaissance des peuples indigènes et de la diversité culturelle du Pérou ; la reconnaissance des droits de la nature ; une refonte de l’État axée sur la transparence et la participation des citoyens ; et un rôle clé pour l’État dans la planification stratégique, afin de garantir la primauté de l’intérêt public.

Sur le plan de la politique étrangère, la victoire de Castillo représente un coup dur pour les intérêts américains dans la région et un pas important vers la réactivation de l’intégration latino-américaine. Il a promis de retirer le Pérou du Groupe de Lima, un comité dédié à un changement de régime au Venezuela réunissant plusieurs pays.

En outre, le parti Peru Libre a demandé l’expulsion de l’USAID et la fermeture des bases militaires américaines situées dans le pays. Castillo a également exprimé son soutien à la lutte contre l’OEA et au renforcement de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) et de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR). Cette victoire est également significative pour la gauche au Chili, en Colombie et au Brésil, qui connaîtront chacun des élections présidentielles au cours des 18 prochains mois.

Castillo devra faire face à une tâche ardue, avec un congrès hostile, une classe d’élites économiques hostile, une presse hostile et, très probablement, une administration Biden hostile. Le soutien de millions de Péruviens en colère et mobilisés pour le changement, ainsi que la solidarité internationale, seront essentiels pour qu’il puisse tenir sa promesse électorale de répondre aux besoins des secteurs les plus pauvres et les plus abandonnés de la société péruvienne.

Medea Benjamin, cofondatrice de Global Exchange et de l’association Codepink : Femmes pour la paix, est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Inside Iran : The Real History and Politics of the Islamic Republic of Iran (L’Iran vu de l’intérieur : la véritable histoire et la politique de la république islamique d’Iran) et Drone Warfare : Killing by Remote Control (Guerre de drones : meurtres par télécommande). Leonardo Flores est expert en politique latino-américaine et militant à CodePink.

Traduction Corinne Autey-Roussel
Photo : @PedroCastilloTe, Twitter

Commentaires

zouzoula | 13/06/2021 - 11:19 :
La prudence est de mise : les "puissants ", on le voit déjà, n'aiment pas ce genre de dirigeant, à même de menacer leurs intérêts.

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