La passe d’armes par médias interposés (ici, reportage de Via-ATV et là, Facebook live) entre Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique, et une grand-mère martiniquaise exaspérée à propos de la vaccination obligatoire promue par le président de la République française, Emmanuel Macron, paraît être l’illustration parfaite du décalage voire de la rupture entre une certaine classe politique déconnectée et la grande majorité des martiniquaises et des martiniquais.
Nous avons proposé à une trentaine d'écrivains (es) antillais (es) de nous révéler leur rêve le plus improbable, le plus fou. Non pas de ces rêves banals que tout un chacun fait durant son sommeil mais de ceux qui nous habitent en plein jour, qui nous hantent, nous poursuivent tout au long de notre vie. Serghe KECKLARD, écrivain martiniquais, est le premier à se jeter à l'eau...
Le dépotjolaj des statues de Schœlcher, de Joséphine de Beauharnais et de Pierre Belain d’Esnambuc, par les activistes Rouge Vert Noir (RVN), met en lumière, au moins, trois problématiques :
Le dépotjolaj et le déboulonnage des statues chez nous, en Martinique et à travers le monde, nous questionnent à plus d’un titre. Ils nous disent, en fait :
« Comment avons-nous pu accepter cela aussi longtemps ? »
Allez dire à la France (à une certaine France !) et à Macron que leur « douce » contrée n’est plus uniquement blanche ; que certain(e)s français(e)s – les basané(e)s, les noir(e)s – n’ont pas l’intention de partir ; ils et elles ne sont pas des locataires. La France, c’est leur Maison et en tant que propriétaires (ou copropriétaires) elles et ils n’aiment pas forcément certains éléments de décoration, d’ameublement, voire…
Faire un sort à ce qui fut appelé en son temps « doudouisme », « littérature de décalcomanie » ou simplement « littérature exotique » ne sera pas ici notre propos. Mais, aujourd'hui, les parutions régulières d'œuvres créoles qui évoquent sans préjugés - esthétique ou idéologique - les réalités du pays, n'obligent-elles pas à recentrer le regard dans une démarche, somme toute spéculaire, et à appréhender cette littérature autrement ?
Au moment où l'on parle d'agrégation créole parait chez K. Editions un recueil de nouvelles signé Vilarson : Mi nou téléspektatè ! ek dotwa nouvel. Connu jusqu’alors pour sa contribution au mensuel créole Boudoum, l’auteur martiniquais prend le pari d’enrichir la littérature d’expression créole martiniquaise ; c’est heureux et réconfortant à la fois. Heureux, car en ces périodes de dystopie, l'auteur nous gratifie d'un opus allègre qui prouve, une fois s'il en était besoin, que la langue créole, dans sa dimension littéraire, signifie notre rapport jubilatoire au monde.
An jounal kréyol ? Yen ki an kréyol ? Asiparé ni moun ki trapé fal fret lè yo wè’y. Ni sa ki mandé poutji sé an jounal papié nou ka fè ? Es nou pa sav jòdijou sé jounal nimérik asou Enternet ki ka bay? Nou nèyè chimérik an tan lontan oben kisa ? Pawol pou ri.
Sens aux aguets, on écoutait, on regardait – une silhouette passa, hiératique, un cigare à l’allongée de la lippe – on respirait en essayant de toucher le corps sacré d’une terre qui grandissait en nous. Malgré la bannière qui manqua de nous éborgner, la poussade au moment d’un arrêt intempestif, la douleur lancinante d’une chaussure brusquement étrécie ou la soif inextinguible qui tenta de mourir dans l’hypothétique dernière goutte d’eau. C’était nous. C’était bien nous qui avions accompli cela ! L’impensable d’hier se mua en désir irraisonné de victoire, en marche triomphale. Le soir venu, les échos amplifiés de batailles rangées entre forces de l’ordre et jeunes délaissés, au cœur de Foyal, ne parvinrent pas à ébranler notre foi. Nous n’eûmes pas les raisons exactes de cette anicroche au tissage impeccable du lien entre nous. Qu’importe ! Le lendemain, Lucinda et Compère Lapin apprirent que les supermarchés de la Courneuve de Saint-Aubin avaient manqué d’être incendiés dans la nuit. Mais, comme d’habitude, la protection efficiente des gens d’armes évita le pire. Les autres, malheureusement, n’eurent pas le même bonheur.
Il arrive quelquefois qu’un roman soit, pour son auteur, une récréation délectable, un terrain de jeu littéraire où, faisant feu de tout bois à chaque chapitre, il s'en donne à cœur joie. Black is black de Raphaël Confiant fait partie, indéniablement, de ces ouvrages-là. Par surcroît, il est aux antipodes d'une littérature qui refuse de raconter des histoires sybaritiques ou baroques, sous le fallacieux prétexte qu'elle ne serait pas prise au sérieux ou serait perçue comme «irréaliste». Cette œuvre, initialement, publiée en 2009 et dont c’est la deuxième publication, chez Caraïbéditions cette fois-ci, pour cause de rupture de stock chez un premier éditeur, laisse dans la mémoire du lecteur ou de la lectrice les traces d’une savoureuse aventure de l’esprit et du corps.
Lorsqu'on rencontre les œuvres picturales de Jean-Michel Loutoby, on est d'abord frappé par la jubilation des couleurs, primaires de préférence, et la ductilité des formes. Non pas qu'elles soient d'un accès immédiat et se dévoilent incontinent, mais plutôt qu'elles invitent à la danse du corps et de l'esprit.
Transposition libre en français de "OBIDJOUL PEYI-A" en hommage à un ami, Hugues DRAPIN, qui a rejoint "le Pays sans chapeau ce lundi 05 novembre. «Recréer sa vie, recréer la vie. / Je ne connais qu'un seul récit solennel : /celui qui lève la tête, remarque le plafond, / mais invente le nuage. / Défi, ton défi aux forces calamiteuses. //» in Ferments d'ombre, paroles de roman (1979), Joël Beuze
Il m'arrive de cheminer dans un supermarché, à la périphérie du Lamentin, à la recherche de produits de haute nécessité - des paquets de biscuits salés bòkay, par exemple - et de jeter un coup d'œil au présentoir des livres. Je m'y attarde volontiers parce que des ouvrages de qualité, en tous genres, y sont souvent exposés.
Poutji toupatou oliwon latè-a yo ka palé Kréyol, pandan mwa oktòb-la, yo ka gloriyé lang tala - Miyami, Pari, Monréyal, Sésèl, Moris, Ayiti, toupatou - ek Matinik, pani ayen ?
Pour la troisième fois, il referme délicatement la fenêtre de son bureau, de peur de l’effaroucher, et remet la plage 6 du cd : « Flash » de Patrick Saint-Eloi. Il n’en revient toujours pas. De son bec, l’animal tapote la vitre. L'homme ouvre tout grand, cette fois, le volet et l’oiseau s’approche enhardi par ce qui ressemble à ses yeux à un jeu. Il fait disparaître ses pattes sous ses noires pennes, baisse les paupières et écoute la mélodie. Le volatile est secoué d’interminables frémissements comme si chaque note, chaque inflexion de la voix du chanteur, lui inspire un rêve, une vision de bonheur : Yaya yo ! yaya yo ! yaya yo ! De petits cris stridents accompagnent même en cadence le refrain. Subjugué par l’inédite dimension que revêt alors la Beauté, Nostrom se repait du concert du monde qui s’accomplit là, devant lui, en fastes et splendeurs. Et tous les matins, pluie ou gros soleil, la conversation se renouvelle dans la précision immuable d’un rituel.
La littérature martiniquaise s'enrichit - et on ne saurait s'en plaindre - d'une nouvelle œuvre dramatique en créole, Ti Chal, de Hughes Barthéléry, chez K.Éditions. Par delà son visuel d'une grande élégance - couverture rigide bleue, avec effet miroir pour le titre en lettres noires et pour l'illustration en ombre chinoise - cette parution est plus importante qu'il n'y paraît :
Ma rencontre avec Naipaul date des années 80. A l'époque je présentais, à l'Université de Bordeaux III, un DEA de littératures comparées intitulé : V.S. Naipaul devant les critiques occidentales (française et anglaise) et les critiques antillaises (anglophone et francophone). Mon propos était de démontrer que cet auteur d'origine caribéenne, perçu par les uns comme l'écrivain de la maturité antillaise, sans complaisance pour quiconque, et par les autres comme le héraut de l'Occident à la recherche d'une bonne conscience, traître à la cause du Tiers-Monde, était le lieu d’une intense controverse qui dépassait le strict cadre littéraire. Et d'essayer de comprendre pourquoi il suscitait, mutandis mutatis, d'un côté tant d'admiration et de l'autre, une dose si grande de détestation. La lecture de ses ouvrages (nouvelles, romans, récits, ou essais) m'édifia ainsi que ses déclarations abruptes dans la presse et dans des revues spécialisées. L'écrivain et l'homme, provocateurs en diable, ne donnaient ni dans le littérairement ni dans le politiquement corrects.